Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Lettre originale de Marie de Wulcob à Michel de Castelnau de la Mauvissière, du 15 décembre [1587]. Lettre autographe.

Bibliothèque nationale, Cinq cents de Colbert, cote 472 - III, pages 355-356.

Manuscrit original numérisé sur :

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f184.item

 

 

 

 

Portrait d'une femme de 53 ans en costume noir et bonnet blanc.

 

(huile sur toile, école hollandaise, c. 1586, collection privée)



Une veuve écrit à son cousin à propos d'affaires de famille : les allers et venues de chacun, des nouvelles des enfants de son cousin, dont elle se charge en partie, et, hélas, des obsèques à préparer.

 

C'est une lettre privée, avec l'orthographe, la grammaire et la syntaxe très personnelles de ceux qui au XVIe siècle ne font pas profession d'écrire, bien que correspondant souvent pour leurs affaires.

 L'auteur est Marie de Vulcob (née avant 1542). Elle est la fille de Catherine Bochetel et d'Antoine de Vulcob. Elle est ainsi la nièce de Jacques Bochetel, seigneur de La Forêt1 et de Breuilhamenon, de qui il est question dans le texte. Elle parle de lui avec respect et même crainte. Marie de Vulcob est veuve, jadis épouse de Claude Genton.

 Marie de Vulcob adresse la lettre à Michel de Castelnau de la Mauvissière, ancien ambassadeur de France en Angleterre (1575-1585), qui a épousé sa cousine, Marie Bochetel, fille de Jacques Bochetel. Il est question à plusieurs reprises de Marie Bochetel dans la lettre, car elle vient de mourir. La lettre ne porte pas d'année, mais la mention de ce décès récent dont la date est connue permet de savoir qu'elle est de 1586.

 Sont également présents dans la lettre certains des enfants de Michel de Castelnau. Tout d'abord Catherine Marie de Castelnau, appelée ici simplement « Marie » : on se détermine à l'envoyer au couvent maintenant que sa mère est morte (voir nos transcriptions des lettres de la prieure du couvent du 12 janvier 1587 et du 25 janvier 1587). Puis sous le nom de « Castelnau » apparaît l'un des fils, Jacques de Castelnau ou Edouard -Robert de Castelnau, qui est au collège à Bourges (le cadet étant sans doute trop jeune pour cela). Les sources ne permettent pas d'établir avec une absolue certitude qui de Jacques ou d'Edouard-Robert est l'aîné et qui est le cadet2. L'aîné au collège semble avoir 9 ou 10 ans à l'époque de cette lettre.

 Marie Vulcob mentionne encore sa propre fille, Marie Genton, née en 1559, qui prend part aux affaires familiales en amenant Catherine Marie au couvent et en se chargeant de la préparation des obsèques de Marie Bochetel, mère de la petite.

 

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Monsieur, j'ay receu vos lettre par Chastre3 qui a demouré plus que monseigneur de La Forest4 ne vouloit. Je vous prie, puisque vous estes resolu d'anvoier ma cousine Marie5, vostre fille, à Poiessi6, de ne huser point de remise, car cela fasheroit monseigneur de La Forest. Et de moy je suis tres aysse que ma fille7 luy mene mais que ce soiet bientost pour ce qui faust et je le desire que madite fille s'an viene : elle a des afaires de desa et aussi que je suis ceule. Au reste monseigneur de la Forest s'an va par dela. Je vous prie devent luy de ne luy parler de rien quy le puisse fascher ny faire aucuing regres de vostre perte8, dont il porte asés d'annuy. Il n'en dit mot. Au reste, Monsieur, je suis atandant le cors9 que sitost sera arivé nous aviseron à faire faire la serimoniee10 aveque tout l'onneur qu'elle meritoit. Après je aviseray aveque monsieur Marechal11 pour vos affaires qui sont de desa qui sont asés difisiles. Ce que j'an saray je vous an esclersiray tout à la verité. Apres vous aviserés à quy vous an voulés fier. Elle sont asés difisiles car il y a de petite ferme qui s'an vont an ruine qui faust vendre. Feu madame l'avoit deliberé12, si Dieu heust voulu qu'elle fust venue issi vivente. Mais Dieu ne l'a volu, à mon grant regret. Je ne vous diray austre chosse, sinon que je suis vostre servise, vous baisant bien humblemant les mins, priant Dieu,

Monsieur, vous donner an santé longue vie. De Bourge ce xve desanbre.

 

[post-scriptum]

 

Je vous prie de bien faire donner à se Prangnez13 tout ce qui faust pour Castelnau, autremant je crindrois14 qui le lesast, et aussy de ne le faire guiere sortir du colege15 cela le debauche de ces etudes. Feu Madame luy anvoiét souvent du bois16 et tout ce qui luy estoit nesaicere. Escusés moy si je vous an escris ce n'est que pour vous faire souvenir de Castelnau qui a ce17 coutume de jeunesse de n'avoir fauste de rien. Je say que la flicsion18 que vous avés de la mere le vous peut faire oublier. De moy, j'en aray soing et de tous vos anfans tant que je vivré. A jamais adieu, Monsieur.

 

Vostre bien humble, hobeissante cousine à vous servir,

M. de Vulcob

 

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Notes

 

1 Jacques Bochetel n'est plus seigneur de La Forêt Thaumier depuis 1560, mais sa famille continue de l'appeler ainsi.

 

2 On peut présumer que Jacques est l'aîné, car c'est à lui que son père dédicace ses Mémoires, dont la rédaction a peut-être commencé peu après la naissance de ce fils, peut-être avant que le cadet ne naisse.

 

3 Sans doute Claude de La Chastre de Maisonfort (1536-1614), alors gouverneur du Berry (1569-1588), plus tard maréchal de France. Michel de Castelnau pouvait faire valoir un vague lien de famille avec La Chastre en raison de son mariage avec Marie Bochetel, les familles Bochetel, Robertet, L'Aubespine et La Chastre ayant contracté entre elles plusieurs mariages à divers moments du XVIe siècle.

 

4 Jacques Bochetel, beau-père de Castelnau. Il est un beau-père dur et peu amène, comme on le voit dans cette lettre où il n'est pas particulièrement accueillant envers « Chastre » et ne veut pas que son gendre pleure trop sa fille morte, pourtant épouse irréprochable.

 

5 En fait Catherine Marie, le troisième enfant de Castelnau et sa fille aînée (la cadette s'appelle Elisabeth). Elle a à cette date entre 8 et 10 ans. Elle est la petite-cousine de Marie Vulcob.

 

6 Le prieuré de Saint-Louis de Poissy, couvent de dominicaines.

 

7 Marie Genton, fille de Marie de Vulcob, veuve Genton. Elle conduit la fille de Castelnau au couvent et est ensuite chargée d'une partie des

obsèques de Marie Bochetel, épouse de Castelnau.

 

8 Le décès de Marie Bochetel, femme de Castelnau et fille de Jacques Bochetel de La Forêt. On sait qu'il eut lieu en décembre 1586.

 

9 Damien Fontvieille dans sa transcription pour l'Université de Tours (cf. références bibliographiques en fin de page) lit « le coré » (sans doute pour « le curé »), mais il s'agit bien de « cors », pour le « corps » de la défunte, qui est amené de Paris à Bourges.

 

10 Les funérailles furent organisées à Bourges par Christophe de Castelnau, neveu de Michel de Castelnau-Mauvissière, Marie Vulcob et sa fille Marie Genton. Selon la lettre de Christophe de Castelnau du 23 décembre 1586, c'est sans doute lui qui a convoyé le corps de Marie Bochetel jusqu'à Bourges.

 

11 François Mareschal ou Le Mareschal (et autres variantes graphiques) est un vieux serviteur de Castelnau, au statut incertain. Il est évoqué dans d'autres lettres du recueil avec des doutes sur sa fiabilité dans une des lettres.

 

12 Les affaires de la seigneurie de Breuilhamenon étaient gérées par Marie Bochetel, comme héritage de son père. C'est maintenant Castelnau qui doit les prendre en charge, mais c'était sûrement déjà plus ou moins le cas depuis quelques mois en raison de la grossesse difficile (et/ou une maladie) de sa femme.

 

13 Damien Fontvieille  transcrit ici « Prinquet ». Nous préférons « Prangnez » : il s'agirait du nom d'un serviteur, éventuellement le porteur de la lettre, qui doit repartir avec des affaires du collégien à ramener à Bourges. Au vu de la syntaxe généralement non conformiste de Marie de Vulcob, on est tenté de lire « prangnez » comme une forme du verbe « prendre », mais la phrase perdrait en cohérence.

 

14 Désaccord avec Damien Fontvieille qui écrit ici « voulois ».

 

15 Il n'y a pas trace que l'enfant soit « sorti du collège » pour assister aux funérailles de sa mère lorsqu'elles ont eu lieu, mais Marie de Vulcob parle peut-être ici en général, et non pas spécialement des obsèques.

 

16 L'enfant était logé au collège de Bourges sous la surveillance d'un précepteur, mais il devait fournir le moyen de se chauffer.

 

17 Ou « qui ac » pour signifier « qui [a] accoutumé » (qui a pris l'habitude) avec la ligne suivante du manuscrit. Le sens global reste le même. On a un cas semblable avec le mot « a[r]/rivé » lignes 16-17 du manuscrit. Mais en dépit de la syntaxe hasardeuse de l'auteur qui peut faire croire à des oublis de mots ou des ajouts malvenus, l'article « de » devant « jeunesse pousse » à lire plutôt « qui a ce[tte] coutume de jeunesse ».

 

18 Pour « affliction » : la peine de Michel de Castelnau-Mauvissière pour la mort de sa femme pourrait lui faire oublier de se soucier de son fils, selon Marie de Vulcob.

 


Bibliographie

  • Castelnau de la Mauvissière Michel, Mémoires de Michel de Castelnau, éd. Le Laboureur, 1731, III.
  • Fontvieille Damien, La galaxie Bochetel : un clan de pouvoir au service de la couronne de France de Louis XII à Louis XIII, Paris : Ecole nationale des chartes (thèse de doctorat), 2016

 

Damien Fontvieille a également transcrit ce document et bien d'autres pour l'Université de Tours, à consulter à l'adresse : http://renumar.univ-tours.fr/xtf/view?docId=tei/TIPO636080.xml;chunk.id=n1;toc.depth=1;toc.id=n1;brand=default. Sa transcription diffère légèrement de la nôtre.

 


Indexation générale #

 

#paléographie

#familleBochetel

#enfantsRenaissance

Indexation des noms de personnes

  • Marie de Vulcob (avant 1542-....)
  • Michel de Castelnau de la Mauvissière (1517-1592)
  • Catherine Marie de Castelnau  (1579?-1612)
  • Marie Genton (1559-....)
  • Jacques Bochetel, seigneur de Breuilhamenon (fl. 1540-après 1595)
  • Jacques de Castelnau (c.1578-16..)
  • Edouard Robert de Castelnau (c.1578-c.1598)

 

 

 

 


Monogramme de Marie de Vulcob