Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Lettre de François de Vendôme, vidame de Chartres, à Sir Nicholas Throckmorton, ambassadeur d'Angleterre en France. 6 janvier [1560]

British Library, cote Add MS 35830, pages 64r-65v.

Manuscrit original numérisé sur :

http://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx?ref=add_ms_35830_fs001r

(pas de lien direct à la page)

 

 

 

François de Vendôme, vidame de Chartres, vers 1555.

(François Clouet, dessin à la pierre noire et sanguine sur papier, Chantilly, Musée Condé)



Parlez-vous franglais (celui de 1560) ?

 

La lettre émane du vidame de Chartres (1522-1560), bien connu des lecteurs de la Princesse de Clèves pour avoir des petits soucis de courrier. Mais point de romance ici : le destinataire est le très sérieux Nicholas Throckmorton (c. 1515-1571), ambassadeur d'Angleterre en France à partir de mai 1559 jusqu'en 1564.

Ces dates n'excluent pas, comme on le voit dans la lettre, des allers et retours en Angleterre durant la période. En octobre 1559 Throckmorton retourne en effet en Angleterre pour voir sa femme, malade, et revient en France en 1560. La lettre est écrite très peu de temps avant qu'il ne revienne : le vidame envoie sa lettre « à l'aventure » (au cas où), car il sait que Throckmorton est sans doute déjà en route (« repassé » en France ou sur le départ - « partemant »). La lettre figure dans les archives de Throckmorton : elle est donc parvenue à son adresse en Angleterre, mais pas forcément à temps avant qu'il ne parte. Le vidame de Chartres n'égare pas toujours ses lettres.

Cet expéditeur, François de Vendôme, vidame de Chartres1, a été otage en Angleterre en 1549 avec d'autres grands seigneurs pour la garantie du traité de Boulogne. Lors de ce séjour il se distingue par sa magnificence en invitant la cour anglaise à des banquets fastueux, et semble apprendre des rudiments d'anglais, puisqu'on le voit ici saluer son correspondant par un distingué « farouel » (« farewell » : adieu). Et il n'égratigne pas trop le nom de Throckmorton, car bien qu'il l'écrive de deux façons différentes (« Fragmarton », « Phragmarton »), cette graphie est assez correcte par rapport à la façon dont le nom se prononce.

Dans ses lettres à la reine Elisabeth, Nicholas Throckmorton dit bien qu'il considère le vidame de Chartres comme un ami de l'Angleterre. Distinguer l'ami de l'ennemi est alors d'autant plus important que les deux pays cherchent à définir leurs rapports depuis l'accession d'Elisabeth au trône en 1558 et celle du jeune François II en France en 1559. La cour de ce dernier est par ailleurs divisée, principalement entre Condé, Montmorency et Guise, et une rivalité huguenots/catholiques prend forme. Les relations franco-anglaises, compliquées du récent mariage de François II avec la jeune reine d'Ecosse Marie Stuart, sont donc incertaines. Elles sont menées par de nouveaux acteurs qui cherchent leur politique intérieure et internationale et testent leurs moyens.

La lettre a cet autre intérêt qu'on est ici à la veille de la crise de la conjuration d'Amboise (mars 1560). L'événement est capital pour le vidame de Chartres, qui en est jugé complice et qui est emprisonné2 dans des conditions qui hâtent sa mort cette même année.

 

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[Adresse :]

A Monsieur,

Monsieur Nycolas Phragmarton, ambassadeur pour la royne de Angleterre en France.

En Angleterre

 

Monsieur, l'ambassadeur,

envoiant se porteur en Angleterre, j'ay bien voulu maictre ceste lettre à l'aventure, encore que je pance que soiés repassés ou sur vostre partemant, pour vous prier seulemant me tenir toujours en vostre bonne amytié et vous soliciter de ramener Madame Frogmarton advec vous par deça et vous prier croire se porteur des nouvelles de se pays qu'il vous contera, encore que ma longue maladie quy m'a tenu longtamps m'ai et guardé3 d'avoir encore esté de longtamps à la Court, quy sera la fin de ma lettre, me recommandant humblemant et affectionnemant à vous.

Priant Dieu, Monsieur l'ambassadeur, vous donner bonne et longue vie.

De La Ferté au Vidasme4, maison vostre5, se vie de jenvier 15596.

 

[P.S.]

Je vous suplie me donner congé de maictre sy dedans vostre lettre mes humbles recommandations à Madame Phrogmarton vostre fame, et que je say bien que advés esté milieur mary que moy7, vous estant par deça. Et farouel8.

 

Vostre pour jamays milieur amy à vous hobeir.

[signature:] De Vendosme

 

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Notes

 

1 Un vidame est un titre nobiliaire qui désigne la personne chargée d'exercer les droits féodaux à la place d'un seigneur ecclésiastique.

 

2 Throckmorton, revenu en France juste avant la conjuration d'Amboise, est lui aussi considéré comme complice et emprisonné quelque jours malgré son titre d'ambassadeur.

 

3 Sic. L'auteur avait peut-être dans l'esprit d'écrire « m'ai écarté d'avoir ». Ou bien le « et » entre « m'ai » et « guardé » est simplement en trop. La lettre est spontanée et des erreurs ne sont pas impossibles. Ainsi l'auteur corrige-t-il lui-même un peu plus loin sa phrase en insérant après coup le « de » de « de longtamps ».

 

4 Le château de La Ferté-Vidame (Eure-et-Loir) est la résidence principale du vidame de Chartres.

 

5 Formule d'amabilité pour dire « ma maison est la vôtre ».

 

6 Avant l'Edit de Roussillon de 1564, l'année commence à Pâques et non au 1er janvier. Pâques tombant en mars ou avril (le 14 avril pour 1560) et cette lettre étant de janvier « 1559 », elle est donc en réalité de janvier 1560 selon notre calendrier moderne. Par ailleurs la lettre est datée de février dans le catalogue de la British Library, d'après une mauvaise lecture du mot faite déjà à l'époque (voir l'annotation manuscrite près de l'adresse à la page 65v. du recueil).

 

7 Le vidame de Chartres était marié à Jeanne de Madaillan d'Estissac. Ils n'eurent pas de postérité. Il avait un grand respect pour elle, du reste épouse très honorable, mais il passait pour très débauché, surtout dans ses dernières années. Ici il fait allusion au fait que Throckmorton, lui, s'est montré bon mari en revenant visiter sa femme malade restée en Angleterre.

 

8 Comprendre « farewell » (adieu) : le vidame de Chartres termine par un adieu en anglais.

 


 

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