Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Extraict d'aucunes condamnations contre des volleurs et pyrates de mer executez à Broaige par le prevost des Bandes et advis du Conseil

Bibliothèque nationale, cote Français 15565, feuillets 142-145v.

Manuscrit original numérisé à partir de :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9064026f/f154.item

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Deux pirates anglais pendus en 1583,
à marée haute. L'exécution eut sans doute lieu à Wapping, au bord de la Tamise, où l'on laissait la marée monter trois fois avant de décrocher les cadavres

(gravure issue de :

A True Relation of the Lives and Deaths of the two most

Famous English Pyrats, Purser and Clinton,

de Thomas Heywood, 1639).

 



Un pirate par mois jugé et exécuté le jour-même à Brouage en 1580-1581.1

 

A la différence de l'Angleterre, où les exploits de Francis Drake et d'autres grands marins à la limite de la piraterie ont attiré très tôt l'attention des historiens – et pas seulement des historiens de la marine –, la piraterie française atlantique au XVIe siècle est peu connue.

 

Tout bon Dieppois se doit de connaître le nom de Jehan Ango, qui fut un glorieux prédécesseur français de Francis Drake dans le pillage des richesses espagnoles, mais en France les guerres de religion attirent bien plus l'attention que les affaires maritimes. Les cruautés de la guerre civile ne doivent pas faire oublier qu'au XVIe siècle la justice royale frappe impitoyablement, quand elle le peut. Or si le XVIe siècle est l'époque de ces grands corsaires, armateurs, géographes et explorateurs dont nous venons de citer deux des noms les plus illustres, c'est aussi une période d'active petite piraterie sur les côtes atlantiques, qui envenime en permanence les rapports entre souverains, notamment français et anglais.

 

Nous avons ici les noms de certains de ces petits pirates ou reconnus comme tels. En novembre 1581, ce récapitulatif des condamnations pour piraterie des mois précédents est dressé par un greffier de Brouage. La cité est alors maritime et non enserrée dans les terres par l'ensablement de son chenal comme de nos jours. Les exécutions veulent avoir valeur d'exemple, et l'on voit dans le texte de quelles « balizes » s'ornaient les ports et les « costes de la mer » de jadis.

 

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Extraict des registres aulx sentences du greffe du prevost des Bandes2 de la garnison estant pour le service du roy en la ville de Brouage et gouvernemant d'icelle soubz la charge de Monsieur de Sainct-Luc3, gouverneur et lieutenant general pour Sa Magesté audict Brouage.

 

Premieremant, le vingt cinqiesme jour d'octobre mil cinq cens quatre vingtz fut jugé à mort suyvant l'advys du Conseil Arnault Cocuault, piratte de mer, pour avoir par luy commys plusieurs pirateries et volleries et depradation de navires, tant d'Espagnolz, Françoys, Brethons4 que Angloix, desquelles volleryes, piratries et depradation il a esté duhemant5 attainct6 et convaincu7 par les informations contre luy faictes mesmes par ses confessions. Et ex fut executé par l'executeur de la haulte justice led. jour vingt cinqiesme d'octobre oud. an mil cinq cens quatre vingtz.

 

Le dernier jour de decembre mil cinq cens quatre vingtz, suyvant l'advys du Conseil, Pierre de Veyres, dict Leseure, fut aussi condempné à estre pendu et estranglé8 pour avoir faict plusieurs volleries et piratries en mer, tant sur les Françoys, Brethons, que aultres nations, contrevenant aulx ordonnances et edictz du roy, comme appert par les charges et informations contre luy et aultres ses complices duhemant faictes, dont il est attainct et convaincu, tant par les tesmoings contre luy ouys que par ses confessions. Et fut executé led. jour par l'executeur de la haulte justice en la place de la ville dud. Brouage.

 

Le dernier jour de may mil cinq cens quatre vingtz ung fut aussi suyvant l'advys du Conseil condempné à estre pendu et estranglé ung nommé Jehan de La Ville, dict « le cappitaine Geoffre », pour avoir prins et vollé certains navires en mer, tant françoys, brethons, espagnolz que angloix, comme appert par les informations faictes contre luy et ses complices, desquelles volleries il est attainct et convaincu par ses confessions. Et fut executé led. jour dernier de may oud. an par l'executeur de la haulte justice sur la coste de la mer pour servir de balize et actes exemplaire à tous navigans.

 

Le unziesme jour d'aougst mil cinq cens quatre vingtz et un fut aussi condempné suyvant l'advys du Conseil à estre pendu et estranglé ung nommé Mathieu Dupuys pour avoir faict plusieurs volleries et piratries en mer, tant sur les Françoys, Espagnolz, que Angloix comme le tout est contenu par les informations contre luy faictes, desquelles il est attainct et convaincu par ses confessions. Et fut executé led. jour en la ville de Brouage par l'executeur de la haulte justice.

 

Le treziesme jour de novembre mil cinq cens quatre vingtz ung fut aussi par advys du Conseil condempné à estre rompu sur une rouhe ung nommé Anthoine Blanchard, dict « le cappitaine », pour avoir faict plusieurs volleries et piratries, tant en mer que sur terre, tant sur les Françoys, Brethons, Angloix, Normans, Espagnolz, que aultres des presantes ysles, et pour avoir tuhé et homicidé plusieurs hommes, comme le tout appert par les informations contre luy faictes, desquelles il a esté attainct et convaincu par ses confessions, en lesquelles il a acuzé plusieurs de ses complices. Et fut icelluy Blanchard executé par l'executeur de la haulte justice sur la coste de la mer led. jour treziesme de novembre oud. an.

 

Le dernier jour de may mil cinq cens quatre vingtz ung fut aussi condempné à estre pendu et estranglé suyvant l'advys du Conseil ung nommé Nycollas Grollier pour avoir prins et vollé plusieurs marchandises en mer apartenant tant à des marchans de La Rochelle que aultres suyvant information contre luy faicte, desquelles il est attainct et convaincu par ses confessions, lequel pour execution de lad. sentence fut renvoyé pardevant les juges de l'admyraulté à La Rochelle.

 

Le vingt quatriesme jour de novembre mil cinq cens quatre vingtz ung fut aussi suyvant l'advys du Conseil condempné à estre pendu et estranglé ung nommé Pierre de La Souche, dict « Le Basque », pour avoir faict plusieurs volleries en mer, tant sur les Françoys, Brethons, Angloix que Espagnolz, comme le tout appert par les informations contre luy faictes, sur lesquelles il a esté attainct et convaincu desd. volleries par ses confessions et fut executé led. jour par l'executeur de la haulte justice sur la coste de la mer pour servir de balize et acte exemplaire à ceulx qui naviguent.

 

Le sixiesme jour d'aougst mil cinq cens quatre vingtz ung fut aussi condempné par à estre pendu et estranglé ung nommé Martin Pagen, de Sainct-Just9, pour raison de plusieurs volleries faictes par led. Pagen, tant en mer que sur terre, comme le tout appert par les informations contre luy faictes, desquelles il est attainct et convaincu par ses confessions. Et fut executé suyvant l'advys du Conseil par l'executeur de la haulte justice led. jour sixiesme d'aougst oudict an.

 

Le huictiesme de jeillet mil cinq cens quatre vingtz ung fut aussi condempné à estre rompu sur une rouhe10 suyvant l'advys du Conseil ung nommé Louys Brisson pour avoir faict plusieurs volleries et larcins, tant en mer que sur terre, comme il appert par les informations contre luy faictes, lesquelles il a confessé par ses confessions. Et fut executé led. jour par l'executeur de la haulte justice.

 

Et le mesme jour furent fustigé11 Nicollas Relet et Pierre Verbisson pour avoir par eulx commys des larcins en ce gouvernemant de Brouage et merqués sur les espaulles des armes de France12 suyvant l'advys du Conseil, prins sur les informations contre eulx faictes, et lesquelles ilz avoient confessé.

 

Le vingtiesme jour de septembre mil cinq cens quatre vingtz ung furent jugés à estre pendu et estrang[l]é suyvant l'advys du Conseil Jehan Malbeuf et Cristoffle Hervé de Sainct-Just près Marennes, pour avoir par eulx commys plusieurs volleries, tant en mer que par terre, comme appert par les informations contre eulx faictes, desquelles ilz ont esté attainct et convaincu par leurs confessions et furent executez led. jour vingtiesme de septembre par l'executeur de la haulte justice, le tout suyvant l'advys des conseillers, tant de Xainctes13, Marennes, que Brouage.

 

Collationné le presant extraict aulx mynuttes des sentences donnees par le prevost des Bandes françoises estant en ganison pour le service du roy en Brouage pour soubz la charge de Monsieur de Sainct-Luc, gouverneur et lieutenant general pour sa Magesté audict Brouage, ysles et pays adjacens par moy, greffier dud. prevost soubzsigné, le vingt quatriesme jour de novembre mil cinq cens quatre vingtz ung,

 

[signature] J. Guerin, greff[ier]

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Notes

 

1 C'est une moyenne. Le texte évoque 11 exécutions en 14 mois.

 

2 Le prévôt des Bandes est le titre porté par un officier chargé des délits commis dans le ressort des places où des détachements du régiment des Gardes françaises tiennent garnison, comme ici à Brouage. Créé, dissous, puis recréé à plusieurs reprises entre 1560 et 1574, le régiment des Gardes françaises, originellement affecté à la protection du roi, était en partie dispersé dans plusieurs places de garnison au XVIe siècle.

 

3 François d'Espinay de Saint-Luc (1554-1597), l'un des favoris d Henri III, nommé en 1579 gouverneur de Saintonge et de Brouage.

 

4 L'union de la Bretagne à la France est alors encore assez récente (1532). La Bretagne, riche d'une histoire et d'une identité très actives aux XIV-XVe siècles, apparaît encore de façon assez normale comme une nation à part. Par ailleurs l'amirauté de Bretagne continue d'exister à côté de l'amirauté de France, jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Cependant on remarque que les Normands sont également cités à part (cas Anthoine Blanchard ci-après).

 

5 Duhemant : « dûment ».

 

6 Attainct : « accusé ».

 

7 Convaincu : « déclaré coupable ».

 

8 « Pendu et estranglé » : le condamné doit mourir par asphyxie. La précision n'est pas anodine. On peut en effet mourir par pendaison en ayant le cou rompu par la chute et le choc sur les vertèbres lorsque la corde est assez longue. Pour faire mourir par strangulation et asphyxie, ce qui prend plus de temps et est donc plus spectaculaire, le bourreau prend soin de faire la corde assez courte, empêchant une chute et la rupture des vertèbres.

 

9 Sans doute Saint-Just-Luzac, au sud de Brouage, comme plus loin pour Jehan Malbeuf et Christoffle Hervé, « de Saint-Just près Marennes ».

 

10 « Rompu sur une rouhe » : le supplice est assez connu pour des cas célèbres (Calas, Mandrin, Cartouche). On attache le condamné aux rayons d'une roue et on lui brise les os des membres et de la cage thoracique avec une barre de fer, en le laissant ensuite exposé jusqu'à ce que mort s'ensuive, ce qui pouvait prendre quelques instants ou bien plusieurs jours, selon la résistance de l'individu.

 

11 Fustigé : « fouetté ». L'absence de pluriel est conforme au texte.

 

12 « Merqués sur les épaulles des armes de France » : ils sont marqués au fer rouge sur l'épaule (ou les deux ?) d'une ou de trois fleur(s) de lys. C'est la peine de flétrissure.

 

13 Xainctes : la ville de Saintes (Charente-Maritime).

 


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Gravure extraite de la 3e édition de The history and lives of all the most notorious pirates, and their crews etc. par Daniel Defoe, 1729