Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Relation de la bataille de Nördlingen, écrite par un gentillhomme lorrain nommé La Roche, qui était à la bataille avec le duc de Lorraine. 9 septembre 1634.

Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque de l'Arsenal, cote MS-3447, feuillets 43-46.

Manuscrit original numérisé à partir de :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52503116v/f93.item

Le triomphe de Charles IV (gravure (vers 1661-1662)

de Claude Deruet (1588-1662),

Nancy, Palais des ducs de Lorraine - Musée lorrain)



Un Lorrain à la bataille de Nördlingen

 

Les 5 et 6 septembre 1634 a lieu la bataille de Nördlingen, en Bavière, dans le contexte de la Guerre de Trente ans qui ravage l'Allemagne depuis 1618.

Elle oppose les troupes protestantes, principalement suédoises et saxonnes, aux troupes catholiques et impériales, alliées aux Habsbourg d'Espagne. La cause protestante a perdu son champion, le roi de Suède Gustave Adolphe, deux ans auparavant (bataille de Lützen), et les Impériaux essaient d'en profiter en reprenant l'offensive. Début septembre, ils assiègent la garnison de la petite ville de Nördlingen, à laquelle l'armée protestante tente de porter secours, donnant lieu à la bataille qui portera ce nom.

C'est l'une des batailles importantes de cette longue guerre car elle est une défaite pour l'armée suédoise qui avait dominé depuis son entrée dans le conflit quatre ans plus tôt. Elle marque la fin de cette hégémonie.

Nördlingen est également importante pour le rôle prépondérant qu'y tient, dans le camp catholique, le corps d'élite des tercios espagnols. Cette formation professionnelle, d'une rare cohésion à l'époque, impose sa marque sur les champs de bataille d'Europe occidentale depuis cent ans, jusqu'à ce que la France de Louis XIV arrive à imposer sa prépondérance sur le vieux continent après Rocroi (1643).

La bataille de Nördlingen va d'ailleurs marquer le début de l'entrée en scène de la France dans les conflits européens, après la longue absence due aux Guerres de religion et le lent renforcement du pouvoir royal. Jusqu'à la mort du roi de Suède (1632), la France se contente de soutenir financièrement la cause luthérienne en Allemagne pour affaiblir les Habsbourg. Après Nördlingen, elle décide de sauter le pas et en 1635 elle devient l'un des belligérants directs de la sinistre Guerre de Trente ans.

Des Français se trouvent dans le camp protestant, mais il n'en est pas question dans le texte. Dans le camp impérial, il y a par contre des Lorrains, derrière leur duc Charles IV, qui est un prince élevé en France mais qui est souverain dans son duché. Rompant avec la prudente neutralité de ses aïeux, il mène une politique agitée et brouillonne qui est vite en butte aux volontés françaises d'annexion de la Lorraine et en janvier 1634, à la troisième invasion du duché par les troupes françaises en trois ans, il abdique en faveur de son frère. Quittant la Lorraine, il propose ses services dans l'armée de l'Empire et c'est à ce titre qu'il participe à la bataille de Nördlingen.

 Le présent document est écrit sous forme de lettre à un ami par un témoin lorrain de la suite du duc, et il ne semble pas particulièrement tenir compte de l'abdication. Le récit est assez fidèle à la vérité, mais exagère en attribuant tous les mérites de la victoire à Charles de Lorraine, qui est partout tel la mouche du coche de La Fontaine dans ce témoignage orienté.

 La forme de récit est classique, c'est-à-dire héroïque, alors que la bataille de Nördlingen marque une étape littéraire peu connue dans le récit de bataille. Un autre témoin de la bataille, Estebanillo Gonzalez, du même camp que notre Lorrain, y consacre en effet un passage dans son roman picaresque La vida y hechos de Estebanillo González (1646), qui préfigure pour beaucoup la façon dont Stendhal décrira bien plus tard la bataille de Waterloo vue par Fabrice del Dongo.

 

Le document est une copie du temps. Après le récit de la bataille, il contient une liste descriptive des divers drapeaux pris à l'ennemi, laissant un témoignage de la richesse des enseignes militaires de l'époque.

 

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Relation de la bataille de Norlinghen escritte par un gentilhomme lorrain nommé La Roche, qui estoit à la bataille avec le duc de Lorraine et envoiée à Paris à un sien amy, 9 sept. 1634

 

Monsieur,

 je serois bien marri que vous apprisiés d'autre que de moy les nouvelles que j'ay à vous mander, m'asseurant qu'elles vous seront agreables autant qu'à personne. Si elles sont bonnes elles ne sont pas moins veritables et vous les pouvés publier pour telles comme venant d'un homme qui a veu l'occasion qui l'en a fait naistre. Je vous diray donc que douze ou quinze jours après la prise de Ratisbonne1 par composition et celle de Donauert2 par force, en chemin faisans les armées imperialle et de la Ligue3 s'arresterent pres de Norlingen, se contentans de l'investir sans la battre4 en attendant l'armée du Cardinal-Infant5, qui n'y arriva que 12 jours après ou environ. Et le mesme jour qui fut le second du mois present, Son Altesse6 y arriva aussy avec sa maison. Le lendemain troisiesme commença la batterie par trois endroicts au point du jour, et fit bresche pour donner l'assault.

 Le 4 [septembre] se donna l'assault mais inutilement, avec perte de huict cent hommes des nostres.

 Le succès enfla le courage des assiegés, avec la nouvelle de l'armée qui leur venoit au secours, laquelle jusques à cette heure n'avoit ozé se presenter, se croyant trop foible, et attendant un renfort qui luy venoit du comte de Gratz7. Si tost qu'il se fust joint, qui fut le cinquiesme [jour de septembre], l'ennemy se resolut de donner la bataille et se fit voir à nostre armée sur le point que nous voulions donner un second assault, ce qui obligea nos generaux de changé de dessein et de ranger nostre armée en bataille. L'escarmouche commença environ les cinq heures du soir, tant par la cavalerie que l'infanterie. Nostre cavalerie dès lors feit semblant de vouloir lascher pied. A quoy Son Altesse de Lorraine accourant leur feit reprendre cœur et regaingner leur premiere poste. En ce conflict le prince Albrandin8 fut tué.

 Nostre infanterie cependant au nombre de quelque six cent, tant mousquetaire que picquiers, moittiée Espagnols moittiée Bourguignons, fit des effects miraculeux pour se maintenir dans un petit bois sur un lieu plus eminent de tout le champ de bataille, poste fort advantageux et duquel l'ennemy c'estant emparé s'y promettoit le gaing de la victoire. A la fin, qui fut sur la minuit, les Suedois après les avoir salués de deux cent volée de canon les attaquerent avec quatre mil hommes, de sorte que n'ayants receu aucun renfort des nostres ils furent contrains de quitter la moittiée de ce bois aux ennemis, lesquels pouvoient obtenir le tout s'ils eussent poursuivi leur pointe. Tout cela se fit sur l'aisle gauche de nostre armée environ la minuit.

 Il y eut lors un peu de repos et nous eusmes loisir de retirer huict mil hommes et tout nostre canon qui estoient dans les tranchées près de la ville.

 Les habitans assiegés pendant le combat precedent ne manquerent pas de faire une sortie sur les nostres, mais la pluspart furent taillés en piece, de sorte qu'il courut un bruit dedans nostre armée que la ville avoit esté prise par les nostres, lesquels y estoient entrés pesle mesle avec les ennemys.

 Le lendemain sixiesme de ce mois environ les quatre heures et demie du matin nostre canon commença à jouer droit à ce bois que les ennemis avoient gaingné, et en mesme temps nostre infanterie, renforcée d'un puissant secours, recommença la charge en ce lieu là mesme, qui dura jusques à la fin de la bataille avec divers succès. Sur les cinq heures et demie la cavalerie de l'aisle droitte de l'ennemy donna sur la nostre de l'aisle gauche et luy fit lascher le pied. Son Altesse y courant l'espée à la main les contraingnit de rebrousser chemin et repousser l'ennemy dans son premier poste. Ceste action, par l'adveu de tout le monde, sauva l'Empereur9, car si nostre cavalerie eut continué sa fuitte jusques à nostre canon comme elle en approchoit desjà, le reste estoit en grand bransle de se retirer en desordre. En cet endroit il y eut force testes et jambes emportées du canon de l'ennemy près de Son Altesse, et particulierement la teste d'un cheval à trois pas d'elle.

 L'ennemy retourna de ce coté là plusieurs fois, et surtout s'attaqua à un bataillon d'infanterie d'Espagnols qui se tesmoignerent plus qu'hommes en ceste occasion, et demeurerent inesbranslables comme des rochers10. Les chefs suedois qui ont esté faicts prisonniers disent que ces Espagnols ont causé le gaing de ceste journée. Ainsy les nostres gaingnants peu à peu s'advanceoient dans la poste des ennemis qui avoient desjà perdu plus de trois cent officiers par nostre canon qui n'avoit cessé de donner avec un grand effect.

 D'autre costé sur nostre droitte nostre cavalerie conduitte par Jehan Vert11 chargea par trois fois celle des Suedois avec divers succès. Six mil Cravates12 des nostres allerent à la charge en cet endroit mesmes, mais ils furent repoussés assés brusquement jusques à ce que Jehan Vert rechargeant pour la quatriesme fois s'y porta si vaillamment qu'il gaigna l'eminence que les ennemis avoient tenue dès le commencement de la bataille et s'y conserva jusques à la fin.

 Son Altesse qui, seul de tous les generaux, estoit partout, portant les ordres et en executant la plus grande partie, fut advertie que les ennemis retiroient leur canon au fond du bois et lors elle courut à l'endroit où la meslée estoit plus grande, et où nostre cavalerie faisoit difficulté de se jetter, laquelle, animée par la presence d'un si grand prince, serra tellement l'ennemy qu'il n'eut pas le loisir de se remettre du desordre où il estoit et commença à prendre la fuitte à bon escient. Mais les Cravates en leur coupant le chemin en feirent une cruelle boucherie. En ce dernier choc, ce qui restoit d'infanterie suedoise fit une descharge de desespoir et fit pleuvoir alentour de nous, qui suivions Son Altesse, une gresle de mousquetades dans une porte sur le visage du sieur Chevillon13 qui touchoit la personne de Son Altesse.

 Du depuis ilz ne feirent plus que faire mourir, ou demander quartier. L'on compte quinze mil hommes des leur demeurés sur le champ de bataille, quatre mil prisonniers, la plus part officiers. Gustave Horn14, general, prisonnier de Son Altesse. Le mareschal de camp Gratz15. Le duc Weimar de Saxe y a esté tué16. Son buffle17 et son espée ont esté trouvés, et son page, qui nous auroit icy asseuré que lorsqu'il le quitta il estoit blessé d'un coup à la gorge et d'un autre au ventre. Son corps ne c'est point encore trouvé. Le bastard du roy de Suede y a esté tué18. Et oultre ce grand nombre, tous les chemins et la campagne jusques à trois lieues de là sont couverts de corps morts.

 Les Caravattes poursuivirent la victoire, le mesme jour forcerent une petite ville19 où les Suedois avoient retiré tout leur bagage avec cinq ou six cent chevaux qui furent tous taillés en piece. Les Cravattes s'y enrichirent extremement et en rammenerent force carosses, filles et femmes de condition.

 Le nombre de l'artillerie est de soixante pieces, des drapeaux et estendars environ de cinq cent. Six vingt ont esté apportés à Son Altesse comme conquis par les soldats de la Ligue. Le reste a esté baillé au roy de Hongrie20 et au Cardinal Infant qui estoit aussy à la bataille21, mais non pas sy avant dans le danger que Son Altesse, de sorte que je n'ay jamais sceu ny ouy parler d'une victoire si absolue gaingnée, ny si opiniastrement contestée que celle là, ayant duré depuis les cinq heures du soir du cinquiesme jour jusques à deux heures après midy du sixiesme de ce mois.

 Les principaux chefs de l'armée vindrent s'en conjouir avec Son Altesse et luy donnerent la gloire d'avoir gaingné seul une si belle journée.

 J'oubliois à vous dire que tout fut faict et executé punctuellement selon ce qui avoit esté opiné dans le Conseil. Le mot des ennemis estoit « Dieu avec nous », le nostre « sainte Marie ». Pendant le combat nous remerquasmes cinq colombes qui voltigeoient perpetuellement dans nostre camp de bataille sans s'effrayer aucunement du lieu ny du canon qui tira sans cesse jusques à dix ou douze mil coups. La fumée du canon, à ce qu'ont remerqué ceux qui estoient demeurés au bagage, se formoit en couronnes qui se perdoient dans les nuées.

 Deux jours après arriva un courrier au roy de Hongrie qui apporta nouvelles asseurrées de la defaitte de l'avantgarde du duc de Saxe, de la prise de quatre colonels, de la mort de Veimar, sergent de bataille, et une blessure mortelle du general Vanier22. Le reste de l'armée ne c'estant sauvé qu'à la faveur d'une riviere au delà de laquelle elle se retira. Vous verrés bientost la description de ceste bataille en meilleur ordre. Maintenant ce que je vous escrips ne peut estre que mal digeré et deffectueux en toutes choses, si ce n'est en ce qui concerne la verité du fait. Vous savés bien le desmesler en devinant une partie, et pardonner à un homme qui vous escript faisant toutes choses à la fois, et respondant à aultant d'impatience. De tout cela je vous laisse à conjecturer ce qui arrivera cy après. J'espere que nous approcherons de vos quartier et cependant je vous invite à louer Dieu avec moy de la gloire que ceste journée a acquise à nostre maistre en servant la religion catholique et ses amis, qui seront obligés d'en faire aultant pour luy.

 Ce qui manque à un bonheur si accompli, c'est qu'une grande partie de nostre noblesse de Lorraine sera privée de l'honneur de n'avoir suivi son prince en ceste occasion qui à peine aura sa semblable en plusieurs siecles. Pour moy je crois que trente duchés de Lorraine ne vallent pas, et que Son Altesse s'y est acquis d'honneur dans une infinité de sages et genereuses actions dignes d'un grand capitaine et d'un vaillant soldat. Le lendemain de la bataille la ville de Norlingen se rendit à discretion. La garnison est sortie la baguette blanche à la main23. Les bourgeois, tous lutheriens, se sont racheptés du pillage en payant trois cent mil escus. Ils sont esté contraints de chanter le « Te Deum » eux mesmes, et de rendre graces à Dieu pour leur disgrace et demander pardon au roy de Hongrie le genouil en terre.

 Demain ou après nous partons d'icy pour le Vuirtemberg.

 Mais j'oubliois à vous dire que nostre armée est composée de trois, faisant environ quarante mil hommes de pied et vingt mil chevaux, dont il n'y eut que le tiers qui combatit à l'avantgarde, le reste estant demeuré immobile et en très bel ordre tout le tems de la bataille. L'armée ennemie, à ce que dit Gustave Spruc prisonnier (qui pour son honneur tasche de la faire la moindre qu'il peut) par son adveu propre, estoit de quarante deux regiments d'infanterie, et de dix à douze mil chevaux.

 

De Nordlingen ce 9 sept. 1634.

 

Roolle de drappeaux et cornettes conquises sur l'ennemy par l'armée de la Ligue catholique et apportées à Son Altesse general d'icelle

 

Taffetas blanc chargé de ceste devise : « Pro rege et grege »24, environné d'un chapeau25 de laurier. Et aux quatre coings du drapeau sont ces quatre lettre : « G A R S »26 qui veulent dire « Gustave Adolphe roi Suedois ».

 Taffetas verd, parsemé d'estoiles d'argent, et au milieu une roze rayonante sur laquelle est escritte le nom de Dieu « Jehova ».

 Taffetas blanc et bleu portant ces embleme : un homme armé dans un chapeau de triomphe avec une devise en rithme allemande qui se peut interpreter en ceste sorte :

 « Ton principe et ta fin soit Dieu.

Ton honneur soit en second lieu.

 Après tu doibs servir ton maistre.

 Ainsy le monde ny la chair,

 Ny les diables ne pourront estre

 Assés hardis pour t'approcher. »

 Taffetas isabelle enrichi d'un chapeau de triomphe au milieu de ceste devise : « jam foeliciter omnia ».27

 Taffetas citron chargé de cet embleme : un ecusson en forme d'armoiries chargé d'un lion ravissant28 armé d'un casque tenant le monde en une patte et une espée en l'aultre avec ceste devise : « revixit »29.

 Taffetas citron enrichi d'un escusson en forme d'armoirie couronnée, chargé d'un lion rempant et d'une main issante d'une nue présentant une couronne, le tout en champ d'azur avec ceste devise : « victori detur »30.

 Taffetas citron à l'embleme de deux lions portans une armoirie effacée avec ceste devise tirée d'un passage des Commentaires de Caesar : « fortuna in omni re dominabitur sed maxime in bella »31. Il y a apparence que dedans l'escusson ce soit un lion rempant tenant une espée.

 Taffetas couleur de rose representant la Justice tenant en une main une espée chargée de ces lettres « G » et « A » entrelassées qui veulent dire « Gustave Adolphe », et de l'autre une balance. La devise est effacée.

 Taffetas citron à l'embleme de deux lions portans un escusson couronné dont le champ est de sable32 chargé d'un sceptre d'or sur une barre d'argent. La devise est françoise : « l'honneur de la mort ».

Taffetas blanc enrichi d'un embleme d'un homme abbatu soubs un lion blanc, le tout dans un chapeau de triomphe au fonds de sinople33. La devise est : « tandem bona causa triumphat »34. Oultre cela il y a une main sortant d'une nue presentant au lion une couronne.

Taffetas jaune chargé d'un bras armé portant une espée sortant d'un nuage dans un chapeau de triomphe. Et au dessoubs une armée rangée en bataille avec ceste devise : « tirannorum justa punitio »35. Et de l'aultre costé du drapeau estoit peinte la Renommée posée sur une colonne gravée de ces paroles : « vivis posterisque »36. Et alentour : « vindico glosa facta »37.

Taffetas rouge portant pour embleme un foiret38 perceant un cube. La devise est : « passe s'il peult ». Aux quatre coings du drapeau sont ces quatre lettres : « B D S W » qui veulent dire « Bernard de Saxe Weimar ».

Taffetas rouge portant un chapeau de triomphe et au milieu ceste devise : « dignius fert »39. Et aux quatre coings : « G A R S ».

Taffetas isabelle40 à l'embleme d'un homme ouvrant à deux mains la gueule ouverte d'un lion. Et au coing proche du baston une croix d'argent en fonds d'azur. Au dessus et au dessoubs est la devise en alleman deschirée. Et aux quatre coings : « G A R S ».

Taffetas rouge representant un palmier41 et au milieu de ses branches une grosse pomme avec ceste devise : « tandem bona causa triumphat ». Aux quatre coings sont ces lettres : « B D S W ».

Taffetas jaune representant un homme nud couronné et ceint de laurier tirant un mousquet avec force trophées à ses pieds. Et pour devise : « viro sit vulnere virtus »42. Le tout enfermé dans un chapeau de triomphe.

Taffetas rouge ayant pour embleme un bouclier environné de trophées avec ceste devise : « fidei defensor »43. Et aux quatre coings : « B D S W ».

Taffetas verd parsemé de branches de laurier et au milieu, dans un chapeau de triomphe ceste devise : « rien que la mort ». Et aux quatre coings : « B H44 D S W », qui signifient en langue allemande : « Bernard, duc de Saxe Weimar ».

Taffetas blanc chargé d'un bras armé sortant d'une nue l'espée au poing, la pointe couronnée d'un laurier avec ceste devise : « nobis haec otia fecit »45. Et aux quatre coings ces lettres : « G A R S ».

Un second de mesme couleur et embleme que celuy qui porte pour devise : « rien que la mort ».

Un troisiesme de mesme.

 Taffetas bleu mourant46 chargé de trois grandes banderolles blanches dans un chapeau de laurier avec ceste devise mesme.

Taffetas rouge portant l'embleme des colonnes d'Hercule avec la devise de Charles Quint : « plus ultra »47. Aux quatre coings : « B D S W ».

Taffetas gris blanc, bleu et colombin48 parsemé de larmes d'or avec une devise effacée.

Taffetas blanc portant un vaisseau de guerre avec ces lettres d'or : « G R D S » [sic].

Taffetas rouge à l'embleme d'un grand sceptre verdoyant partout, et alentour plusieurs branches avec ceste devise : « libertatis vindex »49. Et aux quatre coings : « G A R S ».

Taffetas blanc pourtant trois couronnes d'or dans un chapeau de triomphe de mesme. Et avec les couronnes un chiffre en ceste forme : « G A »50. La devise en alleman estoit : « pour le service de Dieu et la gloire du roy ».

Taffetas jaune representant un bras armé issant d'une nue l'espée au poing, le tout dans un chapeau de triomphe au bout duquel est une armée rangée en bataille. La devise porte : « justa tyrannorum punitio ».

Oultre les drapeaux susdicts il y en avoit encor vingt et neuf de diverses couleurs deschirés de coups et de vieillesse.

 

Cornettes51

 

Damas orangé pastellé frangé de soye bleu et d'argent, portant un chiffre d'un double « G » et d'un double « A » couronné d'une couronne ducale. Le tout dans une chapeau de triomphe en broderie d'argent. Aux quatre coings ces lettres : « D R Z » et « W »52. Et sur le bas un autre du mesme.

Damas noir à l'embleme d'un homme armé posé sur deux rochers au milieu d'une nue agittée, lequel tient en ses deux mains un sablé53 d'où despend un aultre sablé double. Les fouldres et les esclairs alentour avec ceste devise : « absque metu »54. Le tout en broderie d'argent et environné d'un chapeau de triomphe de mesme.

Damas noir bordé de broderie d'argent portant un rond de mesme et au milieu ceste devise : « nescit labi virtus »55.

Damas blanc portant un chapeau de triomphe de broderie d'or et de soye couleur de citron et celadon56 et verd naissant. Au milieu ceste devise : « pro aris et focis »57. Chargé de paillettes d'argent. Aux quatre coings : « B D S W ».

Damas noir portant pour embleme un bras armé l'espée au poing avec ceste devise allemande : « Dieu avec nous ».58

Damas orangé portant pour embleme la Bible à demi cachée soubs une montagne, laquelle aboutit quatre chemins. La devise allemande signifie : « la religion ».

Damas noir bordé d'argent au milieu d'un bras d'argent portant une espée, la devise est dechirée.

Damas bleu de broderie d'or frangé de mesme. L'embleme est un lion la gueule beante, de laquelle sort une ruche d'abeilles avec ceste devise : « adhuc vivo »59. Le tout dans un chapeau de triomphe.

Damas bleu portant les armes de Suede escartelées dans un chapeau de triomphe d'une part et de l'aultre une devise en alleman.

Un aultre cornette semblable à celle qui a pour devise : « la religion ».

Damas blanc portant pour embleme un aigle abbatu sous un heron avec ceste desvise : « coactus »60.

Oultre les cornettes precedentes il y en a encor quinze aultres de diverses couleurs qui ne sont pas reconnoissables, à cause des coups.

Il y avoit encor un tymbal61 avec lesdits drappeaux et cornettes.

 

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Notes

 

1 « Ratisbonne » (en allemand Regensburg) : en 1633, la ville est conquise par des troupes suédoises sous le commandement de Bernard de Saxe-Weimar. La ville est assiégée trois mois par les Impériaux et Bavarrois et se rend en juillet 1634, devant l'échec des troupes de secours suédoises.

 

2 « Donauert » : Donauworth (Bavière). La ville est prise le 16 août par les Impériaux.

 

3 « La Ligue catholique » : alliance des Etats allemands catholiques (1609) formée pour contrer l'Union protestante de 1608.

 

4 « L'investir sans la battre » : encercler la ville sans la bombarder.

 

5 « Le Cardinal-Infant » : Ferdinand d'Autriche (1609-1641), frère du roi d'Espagne Philippe IV.

 

6 « Son Altesse » : Charles IV, duc de Lorraine (1604-1675).

 

7 « Comte de Cratz »: le général Cratz est l'un des protagonistes du camp protestant. Pendant la bataille, il est en deuxième ligne de cavalerie sur la gauche de l'armée protestante, avec la cavalerie du duc de Saxe-Weimar.

 

8 « Le prince Albrandin » : Charles, ou Pierre Aldobrandino Aldobrandini, dit souvent Aldobrandino Aldobrandini (1593-1634), chevalier de Malte, colonel dans l'armée impériale. Il est tué d'un coup de pistolet dans la tête lors de l'engagement de cavalerie.

 

9 « Sauva l'Empereur » : sauva la cause impériale. L'Empereur n'est pas présent à Nördlingen.

 

10 Il s'agit sans doute du tercio napolitain de Toraldo, qui reste dans sa position pendant que les régiments allemands s'enfuient devant l'avance suédoise. Les tercios espagnols (Naples appartenait au roi d'Espagne) dominent les champs de bataille de l'Europe occidentale du XVIIe en raison de leur entraînement et de leur cohésion, alors que les troupes sont majoritairement composées de mercenaires à l'époque. L'armée suédoise, menée par son roi Gustave-Adolphe, faisait déjà une très notable exception à la règle du mercenariat.

 

11 « Jehan Vert » : Jean de Werth (1595-1652), fameux mercenaire au service des Impériaux, devenu une figure de croquemitaine dans le nord de la France qu'il ravagea en 1636. A Nördlingen, il commande une dizaine d'escadrons de cavalerie à la droite de l'armée impériale.

 

12 « Cravates » : ancienne graphie pour « Croates », qui ont donné leur nom à l'accessoire vestimentaire bien connu.

 

13 « Sieur Chevillon » : le seigneur de Chevillon (Yonne) est alors Louis de Courtenay (1610-1672), seigneur d'une Maison illustre apparentée à la Maison royale de France. Mais il est peu probable qu'il s'agisse de lui ici.

 

14 Gustaf Karlsson Horn, comte de Björneborg (1592-1657), chef de guerre suédois de la guerre de Trente Ans. En rivalité avec le duc de Saxe-Weimar qui lui dispute le commandement de l'armée suédoise, ce qui est l'une des causes de la défaite. Horn a exprimé son fort désaccord quant à engager le combat. Il est fait prisonnier lors de la bataille et n'est libéré qu'en 1642, en échange du comte de Werth, après quoi il retourne en Suède.

 

15 Cratz avait servi le camp impérial et catholique, mais, déçu dans ses ambitions, il est passé dans le camp suédois où il a été promu maréchal de camp. Il est fait prisonnier à Nordlingen et exécuté un an plus tard pour sa trahison.

 

16 Bernard de Saxe-Weimar (1604-1639) n'est pas tué à Nördlingen mais réussit à s'enfuir. Il se met ensuite au service de la France et se rend tristement célèbre par les exactions de ses troupes.

 

17 Veste en cuir épais portée dans les armées du XVIIe siècle.

 

18 Est-ce Gustave Gustafsson (1616-1653), comte de Vasaborg, fils du roi Gustave II Adolphe de Suède ? Il n'est pas tué à Nördlingen. Il s'agit plus sûrement de Carl Carlsson Gyllenhielm (1574-1650), fils bâtard de Charles IX de Suède, et donc demi-frère de Gustave II Adolphe. Il est présent en Allemagne dans les armées suédoises, sinon de façon bien certaine à Nördlingen. Il n'est pas mort non plus à cette bataille.

 

19 Neresheim, à 20 km au sud-ouest de Nordlingen, en direction de Ulm.

 

20 Ferdinand III de Habsbourg (1608-1657), fils de Ferdinand II auquel il succède en 1637. En 1634, il cumule plusieurs titres, dont celui de roi de Hongrie.

 

21 La rencontre des deux princes à Nördlingen est l'occasion d'un tableau de Rubens (Kunsthistorisches Museum, Vienne).

 

22 « Général Vanier » : le général suédois Johan Baner (1596-1641), dit aussi Jean Gustavson Baner ou Banier, est considéré comme l'un des meilleurs généraux suédois de la Guerre de Trente ans.

 

23 « La baguette blanche à la main » : équivalent du drapeau blanc.

 

24 « Pro rege et grege » : pour le roi et le peuple. Devise adoptée depuis par plusieurs institutions (régiment des Kongelige Livgarde au Danemark, ville écossaise de Perth, ordre de l'Aigle blanc polonais sous une forme un peu différente, etc.).

 

25 Le « chapeau » en question ici et dans le reste du texte désigne non pas le chapeau héraldique qui est le symbole de certains ecclésiastiques (cardinaux et abbés surtout) mais un « chapeau de triomphe », motif décoratif en forme de guirlande qui entoure un motif central (une devise, un blason, une image symbolique etc.). La guirlande est faite de feuilles de lauriers, de fleurs, ou autre composition végétale.

 

26 « G A R S » : pour « Gustavus Adolphus rex Sueciae », « Gustave-Adolphe roi de Suède ». Ce peut être aussi lu « gloria altissimo suorum refugio » : « la gloire est le plus haut refuge (des siens/de ses biens) ».

 

27 « Jam feliciter omnia » : on pourrait traduire par « désormais que tout me rende heureux ». Il s'agit là d'une bannière luthérienne, mais étonnament c'était également la devise d'Elisabeth de France, épouse de Philippe II. Lui-même avait pris pour devise « jam illustrabit omnia » : « maintenant il va éclairer toutes choses ».

 

28« Ravissant » : terme héraldique, qui n'est en principe utilisé que pour le loup ou le renard, de préférence quand il emporte une proie. Pour le lion on dit « rampant » : l'animal est représenté debout sur les pattes arrières, de profil.

 

29« Revixit » : « il est revenu à la vie/ressuscité ».

 

30 « Victori detur » : « que (la couronne) soit donnée au vainqueur ».

 

31 « Fortuna in omni re dominabitur sed maxime in bella » : « la chance est maîtresse en toutes choses, mais surtout à la guerre». La phrase ne se trouve pas dans les Commentaires sur la guerre des Gaules de César, mais on trouve une formule proche dans ses Commentaires sur la guerre d'Alexandrie : « fortuna, quae plurimum in bellis potest... » ( « la fortune si puissante à la guerre »).

 

32 « Sable » : nom de la couleur noire en héraldique.

 

33 « Sinople » : nom de la couleur verte en héraldique.

 

34 « Tandem bona causa triumphat » : « à la fin la juste cause triomphe ».

 

35 « Tirannorum justa punitio » : « la juste punition des tyrans ».

 

36« Vivis posterique » : « aux vivants et à (leurs) descendants ».

 

37« Vindico glosa facta » : « d'un mot je venge les actes » ? Ou bien y a-t-il erreur du scripteur et la phrase originelle était-elle « vindico glo(rio)sa facta » : « je châtie par des actes glorieux » ?

 

38 « Foiret » pour « foret », outil servant à percer des trous (charpente, menuiserie, etc.).

 

39 « Dignius fert » : peut avoir plusieurs sens. Peut-être « il remporte plus dignement (la victoire) ».

 

40 « Isabelle » : nom d'une couleur jaune orangé particulière.

 

41 Le palmier était un symbole affectionné par la Société des fructifiants (ou « Ordre du palmier »), société philologique et littéraire allemande fondée en 1617. Le général suédois Johan Baner en était membre.

 

42 « Viro sit vulnere virtus » : la formule est bien écrite ainsi dans le manuscrit, mais elle semble fautive, ayant un sens inutilement maladroit de « que la blessure (donne) du courage à l'homme ». Il est possible que le scripteur ait mal lu et que la phrase exacte ait été plus simplement « virescit vulnere virtus » (la blessure renforce le courage). Il est peu probable que l'erreur ait été sur la bannière ; l'erreur provient sans doute du dernier copiste de la lettre originale.

 

43 « Fidei defensor » : « défenseur de la foi ».

 

44 « H » pour « Herrzog », « duc » en allemand.

 

45 « Nobis haec otia fecit » : curieuse citation (ironique ?) d'une phrase de Virgile (Bucoliques, I, 6) : « c'est un dieu (qui) nous a fait ces loisirs tranquilles ».

 

46 « Bleu mourant » : teinte de bleu particulière, qui figure dans la liste des bleus de l'Instruction pour les teintures de Colbert (1669).

 

47 « Plus ultra » : « plus loin au-delà ». Référence aux Colonnes d'Hercule (nom antique du détroit de Gibraltar) de la part de Charles Quint, roi d'Espagne. Il est curieux que la devise de Charles Quint soit ici sur une enseigne du camp adverse aux Espagnols.

 

48 « Colombin » : couleur entre le rouge et le violet.

 

49 « Libertatis vindex » : « défenseur de la liberté ».

 

50 On peut être tenté de lire sur le manuscrit un véritable « chiffre », à savoir « 601 » ou « 602 » en chiffres arabes, mais il s'agit de l'autre acception du mot « chiffre » à savoir des initiales, en l'occurence encore celles de Gustave Adolphe.

 

51 « Cornettes » : étendard carré d'une compagnie de cavalerie.

 

52 « D R Z W » : la signification ne nous apparaît pas, mais elle est manifestement en allemand.

 

53 Nous choisissons de lire « sablé » pour « sablier », et non de corriger en « sabre », mot (et arme) inusité à l'époque.

 

54 « Absque metu » : « sans peur ».

 

55 « Nescit labi virtus » : « le(ur) courage est sans tâche ».

 

56 « Céladon » : nuance de vert pâle.

 

57 « Pro aris et focis » : « pour l'autel et pour le foyer ».

 

58 « Dieu avec nous » : « Gott mit uns », devise des chevaliers teutoniques puis de l'armée de Gustave Adolphe, de la maison de Hohenzollern et ainsi de l'armée prussienne puis allemande jusque dans les années 1960.

 

59 « Adhuc vivo » : « je vis encore ».

 

60 « Coactus » : « hypocrite », « contraint ».

 

61« Tymbal » : tambour.


Bibliographie

  • FULAINE, Jean-Charles, Le duc Charles IV de Lorraine et son armée (1624-1675), Serpenoise, 1997.
  • GUTHRIE William, Battles of the Thirty Years War : from White Mountain to Nordlingen, 1618-1635, Greenwood Press, 2002.
  • LUCHT, Antje, LUCHT, Jürgen, Fahnen & Standarten aus der Zeit des Dreißigjährigen Krieges. Band I: Die Protestantische Union und die Schwedische Armee unter Gustav II. Adolf, Edition Peterstor, 2015 (2e éd.).

(Le tercio napolitain résistant à la cavalerie suédoise à la bataille de Nördlingen ; illustration de l'artiste Mikel Olazábal pour le magazine Desperta Ferro, janvier 2012)

 

Indexation générale

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(La bataille de Nördlingen, gravure de Matthäus Merian (1593-1650), issue des  Estampes relatives à l'Histoire de France de la Collection Michel Hennin, tome 28, pièces 2410-2506 de la Bibliothèque Nationale. Accessible sous forme numérisée sur : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550024378)