Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Lettre de Charlotte de Maillé à son beau-fils Gabriel de Lorges, comte de Montgomery, 8 mars [1563].

British Library, State letters and papers (Hardwick Papers vol. 483), cote Add MS 35831, pages 128r-128v.

Manuscrit original numérisé sur :

http://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx?ref=add_ms_35831_f128r

 

Portrait de Gabriel de Montgomery
(Anonyme, deuxième moitié du XVIe siècle. Portrait réputé faire partie des collections du Musée d'histoire de l'art de Vienne).

 



L'assassin du roi Henri II réprimandé par sa (deux fois) belle-mère pour mauvais traitements envers le personnel de la famille

 

Gabriel de Montgomery1, destinataire de la lettre, est ce capitaine des gardes écossaises qui tue le roi Henri II au tournoi des Tournelles en 1559. Cet accident l'amène aussitôt à prudemment s'exiler à l'étranger.

En 1562 il revient en France, converti au protestantisme et grand capitaine des huguenots de Normandie lors de la première guerre de Religion. Le conflit enflamme particulièrement cette province du royaume où les Montgomery ont un certain nombre de fiefs. Les abus au nom de la religion y sévissent comme ailleurs, divisant les familles et les clientèles traditionnelles, mais Montgomery semble avoir lui-même ordonné des mesures peu amènes vis-à-vis des catholiques de ses domaines2.

En mars 15633, alors que des négociations ont lieu pour terminer cette guerre, la belle-mère de Gabriel de Montgomery prend ainsi la plume pour intervenir en faveur d'un serviteur dévoué de la famille, lésé par ordre de Montgomery. Charlotte de Montgomery, née Charlotte de Maillé, a la particularité d'être doublement belle-mère de Gabriel. L'année de ses 20 ans, Gabriel épouse en effet la fille de Charlotte, Isabelle de la Touche, tandis que par le même contrat (!) Charlotte épouse le père de Gabriel, Jacques de Montgomery, décédé depuis.4

 

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A mon filz,

Monsieur de Mongommery

 

Mon filz, j'ay entendu par le prevost du Merlé5 comment ceulx de vostre religion6 l'ont pillé et faict trop long de maulx et luy ont dict que c'estoyt vous qui leur faisiez faire, ce que je n'ay voullu croire que cella vint de vous, actendu que led. prevost a tousjours esté bon serviteur de feu Monsieur vostre pere et faict son debvoir en noz affaires de par delà7.

Parquoy je vous prye faire en sorte que on ne luy face [pour l'advenir]8 aulcun desplaisir à sa personne et biens, et le laissez vivre en sa religion et le supporter9 en ce que vous pourrez et l'advertissez de ce que vous aurez envye de faire pour luy affin qu'il contynue la bonne volunté [qu'il a]10 de vous faire service comme il a tousjours faict.

Me recomandent bien fort et de bon cœur à vostre bonne grace, priant Dieu vous donner, mon filz, en santé, heureuse et longue vye.

A Lorges, ce viiie de mars,

 

Voustre bonne mere et amye,

[signature :] Charlote de Maillé

 

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Notes

 

1 Nous choisissons la graphie « Montgomery » comme le fait par exemple Isabelle Le Touzé dans sa thèse et ses articles. Mais la graphie « Montgommery » reste tout à fait admise.

 

2 Lors de la troisème guerre de Religion (1568-1570), Montgomery est sans pitié vis-à-vis des populations du sud-ouest de la France où il sévit, faisant exécuter systématiquement les catholiques qui tombent entre ses mains. Bien que moins graves, les ravages contre les bâtiments et biens des catholiques et autres vexations sont déjà très nombreux de la part des hommes de Montgomery en 1562-1563.

 

3 La date de 1563 (très probable) est celle donnée par le catalogue de la British Library où est conservée la lettre (sans doute en raison des allers-retours de Montgomery en Angleterre ou au Havre, alors aux mains des Anglais : voir notre transcription précédente : https://manuscrit-esperluette.jimdofree.com/cavellier-1562/).

 

4 La pratique de ce type de double mariage est alors relativement courante parmi la noblesse.

 

5 Sans doute pour « Le Meslé », qui est aujourd'hui Le Mêlé-sur-Sarthe (Orne), à une trentaine de kilomètres au nord-est d'Alençon. C'est un fief qui appartenait aux Montgomery, et où passe Gabriel de Montgomery lorsqu'il s'enfuit de la cour après l'accident du tournoi.

 

6 « Vostre religion » : la belle-mère de Montgomery est donc restée catholique. Par contre sa fille, épouse de Gabriel de Montgomery, est un soutien indéfectible de celui-ci et de la cause huguenote, sans qu'il soit déterminé si elle a joué un rôle dans la conversion de son mari.

 

7 Par-delà la mer. Charlotte de Maillé se trouvant en France lorsqu'elle écrit la lettre, elle désigne ici l'Angleterre ou l'Ecosse, où le prévôt aurait accompli des missions pour la famille par le passé.

 

8 Ces trois mots sont insérés en interligne supérieure.

 

9 « Supporter » : aider, soutenir.

 

10 Ces mots sont insérés en interligne supérieure.


Bibliographie

  • LE TOUZE, Isabelle, Suivre Dieu, servir le roi : la noblesse bas-normande, de 1520 au lendemain de la révocation de l'Edit de Nantes, Université du Maine (thèse), 2012.
  • MARLET, Léon, Le comte de Montgomery, Paris : Picard, 1890.

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