Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Copie de l'ordre de dévotions publiques de l'archevêque de Rouen François de Harlay à l'occasion de la peste. 4 juillet 1637.

Bibliothèque nationale, cote MS-3447, pages 229-229v.

Manuscrit original numérisé sur :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52503116v/f473.item

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52503116v/f474.item

 

 

 

 

François II de Harlay, archevêque de Rouen et primat de Normandie, marquis de Champvallon et de Breval, comte de Dieppe et de Louviers

 

(gravure de Jean Picart, 1638 ; Archives Nationales, cote AE/II/3247)



« Sans quoy Dieu, qui est le Dieu d'ordre, ne se peut appaiser. »

Les épidémies du Moyen Age sont connues, mais l'époque moderne eut également à souffrir de nombreux épisodes de « peste ». Rouen, grande cité d'échanges, y fut particulièrement exposée au XVIIe siècle. Et à toutes époques les autorités se demandent comment réagir.

 

En 1637, l'archevêque de Rouen pour sa part pense qu'il faut que la cité s'amende auprès de Dieu, et il ordonne des prières publiques dans plusieurs églises de la ville. Il procède par le moyen d'un placard, ou affiche imprimée, diffusée dans la ville et dont nous avons ici la copie manuscrite. Nous n'avons pas trace de conservation de l'affiche d'origine.

 

L'auteur du placard, François de Harlay (1585-1653), archevêque de Rouen, est un fin lettré, protecteur de Corneille. C'est un homme fort docte et auteur lui-même de nombreux livres, bien que ceux-ci aient eu dès son époque la réputation d'être illisibles... même pour le pape (voir notre transcription du Seizain sur l'extravagance des discours de Monseigneur l'archevêque de Roüan). Mais on a là un texte très simple et très compréhensible.

 

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François, par la permission divine archevesque de Rouen, primat de Normandie, à tous fideles chrestiens, salut et benediction. Sçavoir faisons qu'ayants quitté nostre residence de Ponthoise1 necessaire pour remettre toutes choses dans l'ancienne obeissance qu'ils souloient2 audit lieu rendre à nos predecesseurs, & ce pour nous avancer en nostre chasteau de Gaillon3 pour conferer plus commodement avec nostre venerable vicaire4 de l'archevesché sur les bruits qui couroient d'un nouveau fleau de Dieu qui menasse nostre residence metropolitaine, et ayant appris par laditte conference en nostre arrivée audit lieu que le mal pressoit & que mesmes nostre eglise pour l'exemple avoit premidité quelque devotion particuliere, avons ordonné et ordonnons par ces presentes les devotions publiques & accoustumées d'estre prattiquées en tel cas, à sçavoir les prieres de quarente heures, animées des predications de la parole de Dieu, pour representer les jugemens de Nostre Seigneur contre les desobeissances et ingratitudes de son peuple, lesquelles commenceront de demain en huittaine, sixiesme dimanche d'après la Pentecoste, douziesme jour de ce mois, depuis sept heures du matin jusques au mardi suivant sept heures du soir, en nostre eglise primatiale5, accompagnée de l'eglise de St Godard, venerable par la memoire de nostre st patron saint Romain6, & les vestiges de l'ancien siege primitif metropolitain de l'abaye de St Ouen, de la cure de St Nicaise & du couvent des Carmes7 nos bons, obeissans & bien aymés religieux & chefs des privileges. Esquelles quatre eglises se feront les mesmes devotions et en mesme temps qu'en la metropolitaine pour prevenir l'ire de Dieu & demander l'amendement du peuple & le restablissement de l'ancienne & hierarchique discipline. Sans quoy Dieu, qui est le Dieu d'ordre, ne se peut appaiser. Et ainsy consecutivement par deux paroisses & deux monasteres, selon l'ordre que nous avons prescript à nostre susdict grand vicaire, jusques à ce qu'autrement par nous en ait esté ordonné. Donné à notre arrivée à notre chasteau de Gaillon ce samedi quatriesme jour de julliet mil six cens trente sept.

 

Signé : Fr., archevesque de Rouen

Et plus bas : Par le commendement de Monseigneur, Esprit8

 

Et seellé d'un cachet de cire verte des armes dudit seigneur.

 

A Rouen en l'imprimerie de l'archevesché, chés Laurens Maurry9 rue aux Juifs derriere la chapelle du Palais.

 

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Notes

 

1 La résidence des archevêques de Rouen à Pontoise est l'actuel musée Tavet.

 

2 « Qu'ils souloient rendre » : qu'ils étaient habitués à rendre.

 

3 Le château de Gaillon (Eure), était depuis sa cession par Louis IX la résidence d'été des archevêques de Rouen.

 

4 Le vicaire général, ou jadis grand-vicaire, est l'assistant direct d'un évêque dans son diocèse. A cette date, il s'agit de Jean-Pierre Camus (1584-1652), un homme docte, pieux et d'expérience, cousin de sainte Louise de Marillac.

 

5 « Eglise primatiale » : la cathédrale de Rouen.

 

6 L'église Saint-Godard de Rouen fut un premier lieu de sépulture pour l'évêque Romain (VIIe siècle), illustre prédécesseur des archevêques de Rouen.

 

7 Respectivement l'abbatiale Saint-Ouen à Rouen, l'église Saint-Nicaise de Rouen et le couvent des Carmes, qui se trouvait à l'emplacement de l'actuelle place des Carmes. Celui-ci comprenait une église dénommée Notre-Dame-des-Carmes.

 

8 « Esprit » : il s'agit sans doute du nom du secrétaire de l'archévêque, qui appose son contreseing, selon la pratique du temps pour les documents faisant connaître les ordres des rois princes et autres grands seigneurs.

 

9 Laurent II Maurry (mort en 1670) est un fameux imprimeur rouennais, connu pour avoir travaillé avec Corneille à l'impression de ses pièces (l'année 1637 est celle de la création et de l'impression du Cid). Il était l'imprimeur ordinaire de l'archevêché.

 


Bibliographie

CASSET Marie, « Le manoir des archevêques de Rouen à Pontoise », in Marie Casset, Les évêques aux champs : châteaux et manoirs des évêques normands au Moyen Age (XIe-XVe siècles), Mont-Saint-Aignan : Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2007. Accessible en ligne sur https://books.openedition.org/purh/7158?lang=fr.

 

ETIENNE Baptiste, Parlons épidémie : la peste et ses victimes, 2020, article de blog en ligne sur https://paleo-en-ligne.fr/blog/index.php?entryid=43.

 

LEMOINE François et TANGUY Jacques, Rouen aux 100 clochers : dictionnaire des églises et chapelles de Rouen (avant 1789), Rouen : Éditions PTC, 2004.

 

LEMONNIER-LESAGE Virginie, « La mobilisation du Parlement et de la municipalité de Rouen face aux épidémies de peste (XVIe-XVIIe siècle) », in Les parlements et la vie de la cité (XVIe-XVIIIe siècle), Rouen : Publications de l’Université de Rouen, 2004.

 

PLANTROU Eric, La peste à Rouen (1348-1669),Rouen : Faculté mixte de Médecine et de Pharmacie, 1980, 131 p. (thèse de médecine).

 

RIFFAUD Alain, « Corneille et l'impression de ses livres, de l'indifférence à l'innovation », in DUFOUR-MAITRE Myriam (dir.), Pratiques de Corneille, Mont-Saint-Aignan : Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2012. Accessible en ligne sur https://books.openedition.org/purh/10263?lang=fr.

 

VENARD Marc, « Rouen au temps de Corneille », in Etudes normandes, 1984, n° 33-1, pp. 7-26. Accessible en ligne sur https://www.persee.fr/doc/etnor_0014-2158_1984_num_33_1_2581.


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