Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Lettre de Bernard de Girard du Haillan, historiographe de France, à Michel de Castelnau de la Mauvissière, ambassadeur de France en Angleterre. 20 juillet 1585

Bibliothèque nationale de France, Cinq cents de Colbert, cote 472 - III, pages 145 à 148.

Manuscrit original numérisé sur :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f78.item,

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f79.item, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f80.item.

 

 

 

 

 

 

Portrait de Bernard de Girard du Haillan en 1576

Gravure au verso de la page de titre de son Histoire de France, 1585



Juillet 1585. Un écrivain fait la promotion de son livre.

 

Bernard de Girard du Haillan est le premier historien français à avoir écrit une Histoire de France composée comme telle en français. Par rapport à la littérature historique antérieure, il s'y comporte plus en historien et moins en chroniqueur. Poète et traducteur du latin, il fut également secrétaire d'Henri III avant son accession au trône, et il accompagna un ambassadeur de France, François de Noailles, en Angleterre et à Venise dans les années 1556-1557.

Il écrit ici à un autre ambassadeur de France en Angleterre, Michel de Castelnau de la Mauvissière, dont plusieurs transcriptions de ce site parlent déjà abondamment (voir notamment la lettre du gouverneur de Dieppe, les lettres concernant sa fille, et quelques autres documents pour lesquels nous renvoyons à la liste complète des transcriptions du site).

 Du Hailland fait dans sa lettre une publicité sans vergogne pour son livre (proposant ses services pour arranger la vérité s'il était amené à faire le récit de l'ambassade de Castelnau dans le futur), et incite clairement le destinataire à s'intéresser à cette réédition, voire à la diffuser en Angleterre sous forme de cadeau à la reine ou à des seigneurs anglais (donc à la commander en plusieurs exemplaires).

 Il ne s'adresse pas à Michel de Castelnau par hasard. L'ambassadeur s'intéresse aux lettres et à l'histoire et a lui-même traduit du latin au français un traité de Pierre de la Ramée (dit Ramus) consacré aux Gaulois (Traicté des façons et coutumes des anciens Galloys, 1559). Il n'est cependant pas certain qu'il ait donné satisfaction immédiatement à Du Haillan. Castelnau, dont l'ambassade de dix ans en Angleterre a été ruineuse, est en permanence poursuivi par ses créanciers anglais, ce d'autant plus qu'il est sur le départ, et il a bien d'autres préoccupations.

 La personnalité de Du Haillan, assez infatué de lui-même, transparaît dans cette lettre où, tout en faisant sa cour, il exige une réponse à sa lettre avant que Michel de Castelnau ne quitte l'Angleterre. On pourra noter également la proximité de Du Haillan avec les idées des « politiques », ces personnalités de l'époque des guerres de religion qui, plutôt que de se focaliser sur des questions religieuses, déploraient surtout l'état du pays et la faiblesse du pouvoir royal : Du Haillan, né dans une famille calviniste, converti au catholicisme lorsqu'il a une vingtaine d'année, ne parle pas de religion mais, en mots très durs, de la ruine de l'autorité d'un roi qu'il considère comme faible et ingrat, bien qu'il lui ait dédié son Histoire de France.

 

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A Monseigneur,

Monsieur de Mauvissiere, chevalier de l'ordre du roy, conseiller au Conseil privé et d'Estat de Sa Majeset son ambassadeur en Angleterre.

 

Monsegneur, encores qu'il y ait plus d'un an et demi que je ne vous aye escrit, si est ce que pour cela je n'ay laissé d'avoir de vous la souvenance que l'ancienne et parfaicte amitié qu'il vous a pleu me porter me le commande. Je ne vous sçaurois rendre raison de ce long silence que par la repentance que j'en ay. Et s'il y a faulte je la veux à vostre retour reparer par frequentes visites, par services et par autres demonstrations de devoir et bonne volunté.

Cependant j'ai fait reimprimer mon Histoire de France en trois tomes au marge in 4° et l'ai de beaucoup augmentee. Je la vous eusse envoiee par la voye de ceste ambassade, n'eust esté l'esperance que j'ai de vous revoir bientost deça la mer1, et allors je vous en donrai une. Toutesfois, si vous aviés envie de l'avoir devant vostre depart pour en faire present par delà, ou à la royne d'Angleterre ou à quelque millordr [sic] de vos amis, il me seroit bien aisé de vous la faire tenir par la voye de quelque courrier, sur quoy vous me ferés entendre vostre volunté. Elle finit à la mort de Charles 7e, et maintenant je poursuis et delibere poursuivre le reste tant que Dieu me donra vie, et m'asseure qu'à vostre retour je participeray, avec la continuation de vostre amitié, des secretz des belles negociations que vous avés faites et maniees durant vos neuf ou dix annees qu'il y a que vous estes par delà, affin que vostre nom et vos services soient recommandés à la posterité par une plume qui avec la verité peut joindre quelque faveur de bonne affection.

Voilà, Monsegneur, ce que je vous prepare pour vostre retour, auquel aussi j'espere voir quelque belle histoire d'Angleterre que vous nous apporterés. J'ay prié Monsieur Fremin, present porteur, maistre d'hostel de Monsieur de Chasteauneuf2, de vous rendre la presente et de vous dire plus particullierement de mes nouvelles, d'autant qu'il est honneste homme et mon amy, et que nous avons quelquefois mangé mesme pain ensemble.

Et quand vous reviendrés vous trouverés la France toute changee. Vous n'y recognoistrés presque autre chose que la fatalité de nos malheurs et la menasse de la subversion de cest Estat, engendree devant que vous en partissiés. Et y serés assés à temps pour assister à ses funerailles si Dieu n'y donne quelque remede non preveu ni discoureu ni esperé par les hommes3. Et je crains que pour vostre particullier vous n'i trouverés pas le contantement qui est desnié à ceux qui ont bien servi, et que la souvenance de l'honneur que par tant d'annees vous aves receu en pays estrangé, jointe avec la confusion de ceste Court, vous donne occasion de vous mescontanter. Je desire, Monsieur4, avoir responce à ceste cy devant que vous deslogiés de delà. Et sur ce vous baisant humblement les mains je prie5 je veux à jamais demeurer

 

Vostre humble affectionné et obeissant serviteur,

 

[signature] Bernard de Girard du Haillan

 

De Paris, ce xxe jour de juillet6 1585.

 

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Notes

 

1 Michel de Castelnau de la Mauvissière est sur le départ : en 1585 il est remplacé au poste d'ambassadeur de France en Angleterre qu'il occupait depuis dix ans (rare longévité) et il rentre en France.

 

2 Guillaume de L'Aubespine, baron de Châteauneuf (1547-1629) est le successeur de Michel de Castelnau de la Mauvissière à l'ambassade d'Angleterre à partir de 1585.

 

3 La 8e guerre de religion éclate au printemps 1585, et en juillet Henri III est contraint d'accepter les conditions des Guise. On n'est pas loin de pouvoir dire qu'il n'y a plus de pouvoir royal en France.

 

4 On notera qu'il n'est qu'en cette phrase surprenante que Du Haillan écrt « Monsieur » et non plus « Monse(i)gneur ».

 

5 Esquisse, biffée, d'un formule de fin du type « je prie Dieu qu'il vous conserve en santé etc. » L'auteur y a renoncé.

 

6 Et non « xxvie juillet  » comme l'indique une note de l'époque près de la suscription (p. 148 du recueil où se trouve le manuscrit). Cette mention a motivé plus tard la même erreur en tête de page du premier feuillet de la lettre lorsque le recueil a été composé.

 


Indexation générale #

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Indexation des noms de personne

  • Bernard de Girard du Haillan (1535-1610)
  • Michel de Castelnau de la Mauvissière (1517-1592)

 

Bibliographie

LARDON, Sabine, « L’Histoire de France de Bernard de Girard Du Haillan (1585). Les Serments de Strasbourg comme miroir des princes », Corpus Eve [Emergence du vernaculaire en Europe], 3 | 2018. Consultable en ligne sur : https://journals.openedition.org/eve/1486