Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Lettre originale de Christophe Juvénal des Ursins à Michel de Castelnau de la Mauvissière, du 2 avril 1588.

Bibliothèque nationale, Cinq cents de Colbert, cote 472 - III, feuillets 323-326.

Manuscrit original numérisé sur :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f168.item https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f169.item https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f170.item

 

 

 

 

Portrait de Christophe Juvénal des Ursins

 

(gravure, Manuscrit BNF Clairambault 1113, f° 96)

 



Un mourant en appelle aux vertus du vin de cerises

Cette petite lettre privée de Christophe Juvénal des Ursins à Michel de Castelnau de la Mauvissière est-elle celle d'un mourant aux abois, ou celle d'un amateur de bonnère chère cherchant l'ultime viatique dans les liqueurs ? Peut-être les deux. On ne sait de quoi est exactement atteint Christophe de Juvénal des Ursins en cette année 1588, mais cette année est bien celle de sa mort, en dépit de sa recherche de remèdes dans les vins acides.

Il réclame de ces vins à Michel de Castelnau de la Mauvissière, ancien ambassadeur de France en Angleterre dont on a quelques raisons de penser, comme on le voit ici, qu'il n'était pas particulièrement porté à l'austérité en matière de bons vins et de repas entre amis. On ne connaît pas la nature exacte des relations entre les deux hommes, malgré la formule de signature très fraternelle. Christophe Juvénal des Ursins est d'un rang au-dessus de Michel de Castelnau : il est marquis de Trainel, seigneur de La Chapelle, de Doue et d'Armenonville, gouverneur de Paris, lieutenant-général de l'Ile-de-France, chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit, etc. Tous honneurs auxquels Michel de Castelnau, d'une famille alors moins illustre, n'atteindra jamais, malgré ses dix ans d'ambassade en Angleterre.


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A Monsieur,

Monsieur de Mauvyssière,

chevallier de l'ordre du Roy,

et conseiller en son conseil privé

et d'Estat

 

Monsieur, estant tombé depuis trois moys en une extresme maladye qui m'est encores fort rengregee1 depuis ce Caresme2, d'un mal d'estomach avec des ventz qui me tourmentent cruellement, et suis tousjours en une alteration grande, tellement que je charche toutes choses assides3 pour me desalterer. Et par ce que j'ay entendu qu'en ung festin que vous avez fait il y a quelque temps à de voz amys vous leur feystes boyre du vin de cerizes4 le plus excellement du monde, que le medecin qui est icy auprez de moy trouve fort propre pour m'en faire user, je vous supplie bien humblement que sy vous en avez soit en pieces5 ou autrement de m'en secourir, sinon de m'en pouvoir faire recouvrer. Et je vous rendray la pareille en toute autre chose qu'il vous plaira. Vous baisant bien humblement les mains, je prye Dieu,

 

Monsieur, vous donner le contantement que desirez. De Doue6,

ce ii de avril 1588.

 

Vostre bien affectionné comme frere7 à vous faire service,

 

[signature] Ursin

 
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Notes

 

1 Rengréger : augmenter, en parlant du mal, d'une maladie (Emile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1872-77).

 

2 En 1588, le premier dimanche de Carême fut le 6 mars 1588.

 

3 Il n'est pas impossible que ce remède à base de vins acides n'ait en fait empiré le mal. Mais on ne sait de quoi souffrait exactement Christophe Juvénal des Ursins.

 

4 Le vin de cerises est en effet élaboré avec des cerises acides en principe.

 

5 En tonneau. La contenance d'une "pièce" était variable selon les régions, mais plus ou moins de 225 litres. Le vin ne se buvait pas en bouteille à l'époque, et ne se transportait ainsi encore moins. On pouvait s'échanger des fûts de moindre contenance que les "pièces".

 

6 Les Juvénal des Ursins étaient seigneurs de Doue (Seine-et-Marne, arrondissement de Provins).

 

7 Il n'y a pas trace de cousinage de famille entre ce Juvénal des Ursins et Michel de Castelnau de la Mauvissière, y compris par leurs épouses respectives. Christophe Jouvenel était un rang au-dessus de Castelnau, y compris au niveau de ses alliances. Les deux hommes sont de la même génération, mais il n'y a pas trace non plus de fraternité d'armes au temps de leur jeunesse. Peut-être cette expression de fraternité est-elle simplement une façon pour un grand personnage qui souffre de rendre plus pressante sa prière d'envoi de remède.

 


Indexation générale #

 

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Indexation des noms de personnes

  • Christophe Juvénal des Ursins (....-1588)
  • Michel de Castelnau de la Mauvissière (1517-1592)