Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Lettre originale de François de Castelnau, abbé de Cuissy ou Cussy, à son frère Michel de Castelnau de la Mauvissière, du 2 janvier [1587]. Lettre holographe.

Bibliothèque nationale, Cinq cents de Colbert, cote 472 - III, feuillets 397-400.


Manuscrit original numérisé sur :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f205.item

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f206.item

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f207.item

 

 

 

Vierge à l'enfant en majesté

 

(Sud de la France. Seconde moitié du XIIe siècle. Bois [aulne ?].  Collection privée)



Le jour de Noël 1586, un incendie inexpliqué détruit la statue de la Vierge dan la cathédrale de Laon

François de Castelnau, 50e abbé de Notre-Dame-de-Cuissy1, en Picardie, donne quelques nouvelles publiques et privées à son frère aîné, Michel de Castelnau de la Mauvissière (1517-1592), ancien ambassadeur de France en Angleterre. La plus surprenante nouvelle est celle de l'incendie de la statue de la Vierge dans la cathédrale Notre-Dame de Laon le jour de Noël.

 

L'abbaye de Cuissy (ou Cussy), située entre Soissons et Craonne, dépendait du diocèse de Laon. Il en reste quelques rares vestiges sur le site d'un habitat isolé dépendant de la commune de Cuissy-et-Gény (Aisne). François de Castelnau est couramment appelé « Monsieur de Cussy ». Il y est abbé de 1575 à 16102.

 

L'orthographe de François de Castelnau lui est toute personnelle. Nous l'avons cependant respectée autant que possible. La compréhension des phrases est également compliquée par des lacunes dans le texte qui sont dues à une importante partie manquante dans le manuscrit, d'autant qu'il est écrit recto et verso. Les lacunes sont signalées par un simple astérisque (*) dans la transcription, afin de ne pas l'alourdir. L'astérisque est parfois accompagné d'une tentative de notre part de restitution de ces lacunes entre crochets carrés [ ], mais la compréhension de certaines phrases est parfois définitivement impossible. Nous avons agencé la lettre en paragraphes pour une meilleure lecture du texte.

 

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A Monsieur,

Monsieur de Mauvissierre,

chevallier de l'ordre du

Roy et consaillé en son consail

d'Estat

En court3

 

Lettre de Monsieur de Cussy4

 

Monsieur mon frere,

 

j'é receu la vigille de Nouel5 des lettre de vos6 dont je feu très mary d'ouire votre indisposition, et que vos trouviés mal, de quoy j'é tourjours7 estéz en paynne depuys, qui me fayc envoyé se porteur exprés vers vos pour rendre certain de votre senté, vous supplient bien humblement Monsr. mon frere vous resouldre de votre perte8 et fortunne. Là, personne ne peult remedié et nous fault conformé à la volonté de Dieu.


Je desirre bien sçavoyr sy Monsr. de la Forest est à
Parris9 et s'il li sera encorre longctemps, d'aultent que je desirréz bien de le voyr. Je ne puys encorre parti de se lieu de XV jours sy ne aviés necesayrement affayrre de moy, parce que je n'ay fayc encorre delivré l'argent du roy10 et ausy que je fays vidé ung procés que j'ay à Laon qui est de grand instence11. Seré pour cest promiers jours pledoyable més sy mondit Sieur de La Forest à qui je suys bien serviteur estoyc sus son partement pour s'en retourné, je l[e]*sseroys là toust pour l'aléz trouvé.

 

Quand [au]* con[seil]* que je vos ay envoyé, ne faycte nulle dou[bte que]* l[a c]*ourt ne feust à Parris lorsqu'il feut [*] montre12 de quoy à la promiere nous [*] h[e]*ure pas13 en liberté qui n'estions [*] [p]*assé à l'ocasion de Rocroy14 est rendeu. Mo[nsieur de]* Guisse15 i disna le vigille de Nouel. L'on dit qu'il a baillé dix mille esculz à ceux qui estoys dedens16.

 

Je vos dirréz que le jour de Nouel, la nuyc sus les unze à douze heurre se qui est arivéz à la grand esglisse de Laon17 : il s'y trouva ung grand feu qui brulla touttes l'imayge de Notre-Dame18 qui a plus de six cens ans19 qui i estoy et ne scé on comme scela est veneu20. Schasquin21 en parle de diverse opinion. Je vos en dirréz le surplus bien tost, Dieu aydent, Lequel je supplie vous donné en très parfaycte [santé]22 très heureusse et longue vie, apprés,

 

Monsieur mon frere, vos avoyr baisér bien humblement les mains. J'é donné charge à ce porteur de voyr mes nepveu et niepce23 et visité de ma par. Il me tarde bien que je ne voy le petit mignon24.

 

De votre Cuissy25 ce ii de jenvier de P26.

 

(Je vous supplie Monsr. mon frere me mendé quelle recepte vos tro[uv]*é bonne pour la ratte27 [*]me il li fault besongné [*] que l'on me[?] dit que en sçavés [*] [...]en souveraynne et ausy [*] [...] [g]rand doulleurs de teste [*] Monsieur de Fresmont28 [*]es milleur amys qui vous [baise]* bien humblement les mains et vos est bien serviteur et m'a prié vos le rescrirre.)

 

Vostre bien humble et p[lus]29 obaissent frere et très fidel am[y?]30 à vous fayrre servisse.

 

[signature] Françoys de Castelnau

 

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Notes

 

1 BNF, Manuscrits Picardie 268, f° 179v.

2 BNF, Manuscrits Picardie 268, f° 174v.

 

3 Cette adresse figure sur le f° 400. « En cour » : Michel de Castelnau a une adresse parisienne à cette époque mais, si la cour se déplace en d'autres lieux que Paris, il est une partie du temps amené à la suivre. Pour plus de sûreté, son frère envoie donc le message (et le messager) vers la cour pour le trouver. Mais en l'occurence le roi est à Paris de début décembre 1586 à fin janvier 1587.

4 Mention de classement écrite verticalement près de l'adresse au f° 400.

5 « La vigile de Noël » : la veille de Noël.

6 François de Castelnau écrit souvent « vos » à la place de « vous », sans aucun signe manifeste d'abréviation. Nous laissons la façon d'écrire de l'auteur telle quelle.

7 Sic. Une autre particularité de l'auteur : les « toujours » sont presque tous écrits « touriours ». Nous changeons juste le « I » en « J » comme le veut la pratique paléographique.

8 La femme de Michel de Castelnau, Marie Bochetel, est morte tout récemment, en novembre ou début décembre 1586.

9 Jacques II Bochetel de la Forest (1523- après 1595), beau-père de Michel de Castelnau. Ancien ambassadeur de France, ancien maire de Bourges, ancien gentilhomme de la chambre sous Charles IX, etc. La « Forest » en question est le château de la Forêt, sur les terres de la commune de Thaumiers (Cher), mais il n'en est plus seigneur depuis 1560, selon Damien Fontvieille. Dans la correspondance de Jacques Bochetel vers Michel de Castelnau en ces années-là, le personnage paraît peu amène et retiré du monde sur ses terres de Breuilhamenon en Berry (aujourd'hui sur la commune de Plou, Cher). Il ne conserve que l'usufruit de cette résidence car il est censé avoir donné Breuilhamenon à Michel de Castelnau-Mauvissière lorsque celui-ci épouse sa fille en 1575. Dans la mention qui est faite de sa présence à Paris, on voit que Jacques Bochetel se déplace tout de même encore. Il survit à son gendre et on le trouve encore conseiller d'Etat sous Henri IV.

10 Allusion sans doute au paiement des taxes royales par l'abbé de Cuissy, comme il le fait dans une autre lettre du recueil.

11 Un procès de « grande instance »  concerne un litige avec un tiers. L'affaire peut être d'importance comme tout à fait bénigne.

12 Ou « montré » selon le sens de la phrase hélas impossible à restituer en raison des lacunes.

13 Ou éventuellement « peu », pour « pu », participe passé de « pouvoir » ?

14 En 1586 la place de Rocroi est prise par Guillaume-Robert de La Marck, prince protestant de Sedan, ou des protestants se réclamant de lui, et le duc de Guise vient l'assiéger aussitôt. Il semble qu'il convainque assez facilement les officiers de la garnison protestante de se rendre.

15 Henri de Lorraine, duc de Guise (1550-1588), chef du parti catholique en France.

16 Le bruit a circulé à l'époque en effet que Guise avait payé les officiers de la garnison protestante pour leur faire rendre la ville. La somme mentionnée ici, énorme, n'est pas confirmée.

17 La cathédrale Notre-Dame de Laon.

18 Par « image » il faut comprendre « statue », sans doute en bois simple, ou orné de métal.

19 Dater la statue du Xe siècle (c. 987) n'est pas déraisonnable, cela renvoie aux débuts de la montée en puissance du diocèse de Laon sous l'épiscopat d'Hélinand (1052-1095), mais il est plus probable que la statue datait des environs du XIIe siècle.

20 « […] un peu en retrait derrière l’autel majeur, se trouvait l’autel de l’Image de Notre-Dame : altare Ymaginis beatae Mariae. Celui-ci offrait aux regards des assistants une statue de bois représentant Marie assise, tenant l’Enfant Jésus sur ses genoux. Un dispositif muni d’une potence permettait de suspendre au-dessus d’elle, lors des fêtes importantes, une colombe de cristal qui contenait, selon la tradition, un peu de son lait et quelques-uns de ses cheveux » (Alain Saint-Denis, op. cit., paragraphe 19). Cette représentation « en majesté » de la Vierge, parfois reliquaire, est de nos jours extrêmement rare pour la période antérieure au XIIe siècle. L'ancienneté de la statue est cependant très probable, la représentation de la Vierge trônant en majesté disparaissant progressivement à partir du milieu du XIVe siècle.

21 Pour « chacun ».

22 Le mot est manifestement oublié. Ou bien l'auteur a oublié de biffer le « en » deux mots avant. Mais en l'état la phrase est bancale. La formule de fin de lettre souhaitant longue vie en parfaite santé est extrêmement courante à l'époque entre particuliers, c'est pourquoi nous insérons le mot.

23 Le singulier est une erreur de l'auteur : il a, du côté de Michel de Castelnau, deux neveux et deux nièces. Mais il est possible qu'un seul neveu (le plus jeune, Jacques) et une seule nièce (la plus jeune également, Elisabeth) soient près de Castelnau. Le fils aîné, Edouard-Robert étudie à Bourges et la première fille, Catherine-Marie, est envoyée au moment de cette lettre au couvent de Poissy (voir sur ce site  https://manuscrit-esperluette.jimdofree.com/prieure-de-poissy-1587-01-12/ et https://manuscrit-esperluette.jimdofree.com/prieure-de-poissy-1587-01-25/).

24 On peut légitimement penser que le « petit mignon » est l'enfant né à l'issu de la dernière grossesse de Marie Bochetel. Sa mention est en effet juste après celle des autres neveux et nièces. On ne sait si la mère est décédée en couches, ou des suites de l'accouchement, ou encore d'une maladie non précisée dont elle semble atteinte pendant sa grossesse, mais l'enfant a peut-être vécu. Cependant on ne sait rien de lui, et rien ne confirme clairement notre hypothèse. Peut-être est-ce plutôt le surnom que l'abbé de Cussy donne au plus jeune des fils connus, Jacques de Castelnau.

25 Il s'agit d'une formule d'amabilité fréquente dans les lettres entre parents à l'époque, mais, de fait, Michel de Castelnau profite assez de l'hospitalité de son frère à l'abbaye de Cuissy après le décès de son épouse pour que certaines lettres qui lui sont destinées soient envoyées à cette adresse.

26 Il est tentant de lire ici le chiffre « 7 » pour « 1587 », mais ce signe se retrouve dans d'autres lettres du temps qui ne sont pas de cette année (cf. nos commentaires pour le cas similaire dans https://manuscrit-esperluette.jimdofree.com/prieure-de-poissy-1587-01-25/) . Nous datons la lettre uniquement d'après le contexte, non par ce signe.

27 Diverses infections et maladies peuvent causer des douleurs au niveau de la rate (côté gauche de l'abdomen). Mais la rate a également un rôle dans les conceptions médicales de la Renaissance qui l'associent à la mélancolie et à une humeur chagrine, sans qu'il soit pour autant questions de douleurs graves.

28 Le personnage n'est pas identifié.

29 Fin de la ligne prise dans la reliure à numérisation.

30 Fin de la ligne prise dans la reliure à numérisation.


Bibliographie

Alain Saint-Denis, Le maître autel de la cathédrale Notre-Dame de Laon vers 1165, in Bulletin du centre d'études médiévales Auxerre, Hors-série n°4, 2011 : autour de l'autel chrétien médiéval. En ligne sur https://journals.openedition.org/cem/11841 (consulté le 15.12.2020).

 

Auguste Philippoteaux, Sur un épisode ardennais des guerres de religion : l'entreprise de Rocroy, 1586, Sedan : impr. de A. Suzaine, 1930.

 

BNF, Département des Manuscrits, Matériaux pour l'histoire de Laon, par Dom Bugniatre (mémoires, notes, copies de chartes et tables des cartulaires), vol. II (cote Picardie 268). En ligne sur https://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc975159/cd0e639 (consulté le 15.12.2020).

 

Damien Fontvieille, La galaxie Bochetel : un clan de pouvoir au service de la Couronne de France Louis XII à Louis XIII, thèse de doctorat en soutenance en décembre 2020 (non consultée).

 

Jacques Peyran, Histoire de l'ancienne principauté de Sedan jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, Paris : Servier, 1826, tome I, p. 209.

 

Martine Plouvier (dir.), Laon : une acropole à la française, Cahiers du Patrimoine n°40, Amiens, 1995, p. 313.

 

Michel de Castelnau, Mémoires, éd. Le Laboureur, 1731, tome III.

 


Indexation générale #

 

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Indexation des noms de personnes

 

  • François de Castelnau, abbé de Cussy (....-1610 ?)
  • Michel de Castelnau de la Mauvissière (1517?-1592)
  • Jacques II Bochetel de la Forest, seigneur de Breuilhamenon (1523-après 1595)

Indexation des noms de lieux

 

  • Cuissy-et-Gény (Aisne). Abbaye Notre-Dame
  • Laon. Cathédrale Notre-Dame
  • Rocroi