Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque de l'Arsenal, cote Ms 5420 (1) : tome XI, 1ère partie du recueil de Conrart, pages 85-86.
Manuscrit original numérisé en ligne :
Dame au chat
(huile sur toile,
école italienne, XVIIIe siècle, collection privée)
Stances sur un chat (anonyme, XVIIe siècle), ou l'orthographe de Valentin Conrart
Valentin Conrart, premier secrétaire de l'Académie française lorsqu'elle fut fondée par Richelieu (1634), aimait à recopier des documents historiques, religieux ou littéraires, qui se trouvent mêlés dans les nombreux volumes qui composent son recueil aujourd'hui conservé à la Bibliothèque de l'Arsenal. Il ne mentionne pas toujours les auteurs des poèmes qui parsèment ce recueil, et qui sont bien souvent dans le ton de cette époque des fameuses Précieuses telles que Madame de Scudéry et quelques autres.
Si ces dames furent un peu moquées par Molière, leur rôle fut d'importance. Elles influèrent en effet sur l'orthographe de la langue française autant que les amateurs (masculins) des belles lettres qui formèrent le noyau de l'Académie française autour de Conrart. Le poème qui suit, malgré sa légèreté, illustre à sa façon ces transformations : des mots y ont évolué par rapport au XVIe siècle (par ex. : tousjours/toujours), mais des formes anciennes demeurent (par ex. : repaist). Nous avons retranscrit selon les normes de Bernard Barbiche pour les textes du XVIIe siècle, mais on notera sur le manuscrit l'utilisation fréquente d'accents, qui sont parfois présents pour manifester l'abandon volontaire d'une lettre. Le mot « toujours » est par exemple écrit « toûjours », gardant une trace du « s » disparu, comme « forest » est devenu « forêt » avec plus de succès jusqu'à nos jours.
On ne connaît pas toujours les auteurs des morceaux littéraires rassemblés par Conrart. Lui-même n'a rien publié de notable et était connu pour sa prudence en la matière. Si bien que l'auteur de ces stances sur un chat demeure inconnu, de même que l'éventuelle destinataire. Mais l'écriture (et donc l'orthographe « nouvelle manière ») semble être celle de Conrart, comme pour nombre des copies de son recueil.
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Que faites vous du petit chat ?
Belle Iris, l'aymez vous encore ?
Baisez vous toujours cet ingrat,
Qui vous dechire et vous devore ?
Quand il vous mordit l'autre jour,
Ce ne fut que de belle rage ;
Croyez vous que ce fut l'amour ?
En auroit il eu le courage ?
L'amour s'est souvent deguisé
Pour quelque occasion insigne ;
Mais jamais en chat exposé
Qui n'aime point s'il n'egratigne.
Cependant, tout mechant qu'il est,
Vous recompensez ses malices ;
De vostre sang il se repaist
Et vous en faites vos délices.
Vous l'appellez du plus beau nom
Que puisse inventer la trendresse ;
Pour ce chat vostre passion
Refuse le nom de maitresse.
Vous l'appellez « mon petit cœur »,
« Mon roy », « mon tyran » et « mon maitre » :
Qu'il est heureux ! Mais quel malheur
Qu'il ne sache pas le connoistre !
Il voit que vous l'avez sauvé,
Il en fait le chat d'importance ;
Mais, apres tout, un chat trouvé,
Vient toujours de mauvaise engeance.
Vostre cœur, aux cœurs si fatal,
Qui se moque de leur misere,
Eut pitié de cet animal
Abandonné de pere et mere.
Mais pour donner vostre amitié
A des bestes moins indiscrètes,
Vous pourriez mettre la pitié
A plus haut prix que vous ne faites.
S'il faut un chat qui, par ses soins,
A tous vos petits soins reponde,
Pour fournir à de tels besoins
Il est tant d'autres chats au monde.
Il vous en faut choisir quelqu'un
Qui convienne à vostre naissance,
Dont l'ordre ne soit pas commun,
Et qui soit de l'ordre de France.
Il vous faut un chat Amadis,
Qui sache sentir vos tendresses,
Du moins un Raminagrobis,
Un matou propre à vos caresses.
Il en est bien autour de vous,
Qui voudroyent vous donner la patte,
Qui sera l'heureux d'entre tous,
Qui pourra vous dire « ma chatte » ?
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