Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

31 mars 2024

Lettre au roi Henri III du maire et des échevins de la ville de Châtellerault, 3 mars 1589.

Bibliothèque nationale, Dupuy 61, pages 16-17v.

Manuscrit original numérisé sur :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b103164206/f41.item

Châtellerault d'après la carte du Poitou de Petro Rogiero (Pierre Rogier) intitulée Pictonum, vicinarumque regionum fidiss[im]a descriptio (détail).

 Cartes imprimées, Bibliothèque Nationale de France,

cotes GE B-1559 et GE DD-627 (51 RES).



Châtellerault entre roi de France, Ligue et roi de Navarre

 

En mai 1588 le roi Henri III fuit Paris, tombé aux mains des Ligueurs d'Henri de Guise. Il fait assassiner celui-ci à Blois en décembre et la guerre est relancée ouvertement entre le roi, les Ligueurs ultra-catholiques et les protestants de Henri de Navarre (huitième guerre de Religion). Bien que Henri de Navarre soit désormais l'allié objectif de Henri III contre la Ligue, la plupart des villes de France doivent choisir entre rester fidèles au roi, se déclarer pour la Ligue ou pour le parti protestant de Henri de Navarre.

Châtellerault illustre ici ce dilemme : bien que voulant rester fidèle au roi, la communauté protestante y est importante et la garnison censée tenir la ville pour le roi de France se débande lorsqu'en mars 1589 s'approchent les armées de Henri de Navarre, qui s'empare de la ville.

Henri de Navarre est alors très présent à Châtellerault où il séjourne plusieurs fois. Quelques mois plus tard, l'assassinat de Henri III fait de lui le prétendant officiel à la couronne de France et il commence la dernière partie de la lutte qui le mènera à devenir Henri IV.

 

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Sire,

 

encores que nous estimons que Monsieur de Rouhet1 vous face bien particullierement entendre ce qui s'est passé ycy à la venue du roy de Navarre et de son armee, et les ocasions, dangers et necessitez qui l'ont meu, et nous aussi, d'accepter sa composition, si est ce, Sire, que nous avons bien osé despecher ce porteur exprès vers Vostre Majesté pour la supplier, comme nous faisons très humblement, d'entendre de luy sur ce subject ce qu'il a à ly dire de nostre part.

Cependant, Sire, nous supplions aussi très humblement Vostred. Majesté de considerer combien sont communs et ordinaires les miseres de ce temps, la division, desordre et confuzion d'entre voz subjectz, les praticques et menees qui se font d'ung et d'autre party pour les diviser et retirer de vostre obeissance. Tous ces maulx, Sire, nous sont à nostre très grand regret et desplaisir advenuz ces derniers jours, car lors que nous avons pensé l'unyon estre plus asseuree entre nous, la division y a esté plus grande, les cœurs2 et les armes de la pluspart nous ont failly, speciallement de ceulx qui estoient ou avoyent esté de la nouvelle religion, et aucuns autres3 qui s'estoient retirez en lad. ville se declarerent favorables à la Ligue, cherchant chacun l'adventage de son party. Les autres aussi nous ont du tout abandonnez : partye des soldatz de la garnison se sont retirez et prins party ailleurs. Ceulx qui restoient crioyent tout hault le mescontentement qu'ilz avoient de n'avoir receu ung seul solz en neuf mois, encores que ce que portoit ceste ellection4 pour sa part de sa solde des garnisons de Poitou eust esté levé et payé.

Et ainsi, Sire, prevoyans toutes ces miseres, le desordre et confuzion et le dangereulx evenemens, et d'ailleurs que led. Sieur de Rouhet n'estoit assisté que de quelque petit nombre de gentilzhommes et soldatz, de nous, voz officiers, maire5, eschevins et habitans, d'aucuns6 cappitaines de la ville, estans les autres retirez hors d'icelle, de peur et d'efroy de tumber ès mains de l'ung ou de l'aultre des partis qui avoient assez ou trop d'aventage sur nous et le vostre qui est le nostre, le plus foible, nous avons esté contrainctz et necessitez, Sire, pour la consideration de nostre honneur, de noz vies, de noz femmes, de noz enfans et de noz biens, et pour eviter aulx aultres maux et honteuses insolences que la viollance de la guerre produict ordinairement, de choisir de deux autres maux inevitables le moindre, et composer avec l'un des partis pour nous deffendre et garentir de l'aultre au mieux qu'il nous a esté possible.

Cela, Sire, n'a aulcunement refoidy le desir et affection que nous avons et aurons tousjours de vous demeurer pour toutes noz vies très humbles, très obeissans et très fidelles serviteurs, vous asseurant, Sire, que de la part des ecclesiasticques et la nostre il n'y sera ycy obmis, changé, ne alteré aulcune chose de ce qui est deu et appartient à l'honneur et service de Dieu, à l'auctorité de Vostre Majesté et à nostre debvoir, estans plustost resoluz de quitter noz maisons et biens avec noz petites charges, dignitez et offices, que d'y contrevenir et aux commendemens qu'il vous plaira à Vostre Majesté nous faire, attendant lesquelzles nous prions Dieu vous donner,

 

Sire,

 

en toute perfection de santé, très bonne, ts heureuse et très longue vie.

 

De Chatellerault, ce iiime mars 1589.

 

Voz très humbles, très obeissans et très affectionnez serviteurs, officiers, maire et eschevins,

 

[signatures:] Ferrand, Rasseteau7, Foriot, Berthelmy, Demornays [?]

 

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Notes

 

1 Louis de la Béraudière, sieur du Rouet, gouverneur de Châtellerault.

 

2 « Coeurs » : courages, résolutions.

 

3 « Aucuns autres » : certains autres.

 

4 « Election » : circonscription administrative de l'Ancien Régime. L'élection de Châtellerault dépendait de la généralité de Poitiers.

 

5 En 1589 le maire de Châtellerault est en principe un nommé François Huet. Son nom n'apparaît pas parmi les signataires.

 

6 « Aucuns » : quelques.

 

7 Plusieurs personnes du nom de Rasseteau sont maires de Châtellerault aux XVIIe et XVIIIe siècles.

 


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