Bibliothèque nationale, cote Français 3188, feuillet 67.
Manuscrit original numérisé sur :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9060000z/f68.item
Portrait d'Anne de Joyeuse vers 1580
(peintre de Joyeuse. Dessin, pierre noire et sanguine.
Bibliothèque nationale de France,
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b525107740/f1.item et https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb402817130)
Anne de Joyeuse devient gouverneur du Mont-Saint-Michel
En 1579, Anne de Joyeuse a environ 19 ans, et
il commence sa fulgurante ascension de favori du roi Henri III. Le document ci-après est la copie, faite par le secrétaire du roi qui a rédigé l'original, d'un brevet le nommant capitaine et
gouverneur du Mont-Saint-Michel.
La charge de gouverneur du Mont-Saint-Michel n'est pas une sinécure : en 1577 un gentilhomme huguenot a tenté de s'emparer du Mont en se faisant passer, lui et une trentaine de compagnons, pour des pélerins, et ont tué des religieux et des soldats. Voir à ce sujet notre transcription de la lettre du gouverneur de Dieppe qui évoque les événements. Pour autant, les charges des grands seigneurs sont souvent exercées en réalité par des adjoints sur place, et Joyeuse se rendit-il jamais au Mont-Saint-Michel ?
Ce brevet est le commencement d'une accumulation de titres et de faveurs octroyées par le roi, qui atteint un sommet en 1581 lors du fastueux mariage avec la demi-soeur de la reine de France, mariage pour lequel le roi lui octroie la somme énorme de 300 000 écus. La vicomté de Joyeuse est en outre érigée en duché-pairie avec de très importants privilèges. Anne de Joyeuse cumule d'autres honneurs jusqu'en l'an 1587 (il a 27 ans) où, conduisant une expédition contre les huguenots et s'étant montré particulièrement sanguinaire avec eux, ils le tuent d'un coup de pistolet lorsqu'il se constitue prisonnier à la bataille de Coutras.
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Aujourd'huy xxviie jour de febvrier 1560xix1, le roy estant
à Metz, et sur la requeste qui luy a esté faicte de la part
du Sieur de Joyeuse2, chevalier de son ordre et son lieutenant general
au gouvernement de Languedoc, accorde et permet au conte de
Bouchaye3, aussy chevalier dud. ordre et cappitaine et gouverneur du
Mont-St.-Michel, qu'il puisse resigner led. estat de cappitaine
et gouverneur ès mains et en faveur de Anne de Joyeuse, filz
aisné dud. Sieur de Joyeuse, sans pour ce paier finance,
et d'aultant que les notables et bons services que chacun d'eux
faict respectivement à Sa Majesté meritent en leur endroict
quelque recongnoissance et gratiffication à Sad. Majesté par mesme
moyen. Et en accordant lad. resignation dict et declaire qu'elle4
veult et entend que en cas que led. Anne de Joyeuse vienne
à decedder avant led. Sieur de Bouchaye resignant, que led. estat
et office de cappitaine et gouverneur luy retourne et en joysse
tout aussy qu'il a jusques icy faict, sans que pour ce
il soit tenu de prendre autre provision5 que celle qu'il en a
de present. En tesmoing de quoy led. seigneur6 m'a commandé d'en
expedier le present brevet et les lettres de provision de sad. resignation
necessaires, Monsieur de Lanssac7, present.
Collationné8 à l'original par moy,
notaire et secretaire du roy,
[signature] Potier9
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Notes
1 1560xix : une manière originale d'écrire « 1579 ».
2 Guillaume de Joyeuse (1520-1592), père d'Anne de Joyeuse. Il est nommé en 1582 maréchal de France.
3 Le « y » est parfaitement identique à celui, non douteux, de « Joyeuse » ligne 7, mais il s'agit ici de René de Batarnay (1513-1587), petit fils d'Imbert de Batarnay, comte du Bouchage (et non « Bouchaye »), baron d'Authun, seigneur de Bridoré, de Montrésor, et gouverneur du Mont-Saint-Michel. Guillaume de Joyeuse a épousé la 2e fille de René de Batarnay, Marie (1539-1595), et c'est à ce titre qu'il peut réclamer la résignation d'une charge de la famille de Batarnay en faveur de son fils aîné Anne de Joyeuse. Ce n'est pas le seul héritage : le 2e fils de Guillaume de Joyeuse, Henri, voit transférer à son profit le titre de comte du Bouchage. On notera que René de Batarnay n'était peut-être plus gouverneur du Mont que très symboliquement en 1579, un sieur de Vicques ayant été nommé gouverneur (temporaire ? effectif ?) en 1577 pour avoir empêché la prise du Mont par les Huguenots, alors que Batarnay, qui cumulait plusieurs charges et propriétés dans toutes la France, ne résidait sans doute pas beaucoup sur place. Voir notre transcription de la lettre du gouverneur de Dieppe à l'ambassadeur de France en Angleterre en 1577.
4 Ce « elle » renvoit à « Sa Majesté », c'est-à-dire au roi.
5 Provision : « action de conférer un poste vacant, un bénéfice » (DMF 2015).
6 Ledit seigneur : on parle toujours du roi ici, qui commande à Potier, son secrétaire s'exprimant à la première personne (« m'a commandé »), d'envoyer le brevet.
7 Sans doute Guy de Saint-Gelais de Lansac (1544-1622), vice-amiral de Guyenne, gouverneur de Brouage. Malgré ces responsabilités vis-à-vis de la défense des côtes, il exerce son autorité loin du Mont-Saint-Michel.
8 Collationné : comparé à l'original pour certifier l'authenticité.
9 Louis Potier de Gesvre (mort en 1630), secrétaire du roi en 1567.
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LE ROUX, Nicolas, La faveur du roi : mignons et courtisans au temps des derniers Valois, Champ Vallon,