Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Lettre du seigneur de Boysmaystre à François de Castelnau, abbé de Cuissy. 14 avril 1586.

Bibliothèque nationale de France, Cinq cents de Colbert, cote 472 - III, pages 227 à 230.

Manuscrit original numérisé sur :

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f120.item, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f121.item, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f122.item.

 

 

 

 

Portrait d'un prélat, vers 1580

 

(attribué à Lavinia Fontana, huile sur cuivre, New York, Metropolitan Museum of Art)

 

 



 Un aimable beau-frère

 

 Cette lettre privée émane d'un particulier qui n'a pas laissé d'autre trace dans l'histoire. Le seigneur de Boysmaystre ou Boys-Maystre1 en Berry est le mari de Marguerite de Castelnau, l'une des filles de la grande fratrie des Castelnau de la Mauvissière (il y eut cinq frères et quatre sœurs).

 Il écrit ici au cadet des cinq frères de Marguerite, François de Castelnau, abbé de Nostre-Dame de Cuissy (ou Cussy, aujourd'hui Cuissy-et-Geny dans l'Aisne), abbaye picarde dépendant du diocèse de Laon2.

 Cette lettre anodine n'a été conservée dans les archives de Colbert que parce qu'elle figurait dans les papiers personnels de Michel de Castelnau, autre frère de Marguerite, qui fut ambassadeur de France en Angleterre3, et parce que Colbert essayait de se procurer le plus possible les documents que les anciens serviteurs de l'Etat et leur famille pouvaient détenir (les anciens ambassadeurs gardaient alors les archives de leur service, même après leur départ de charge).

 

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A Monsieur,

Monsieur de Mauvissiere4, aumonyer

du roy, abbé de Cussy,

à Paris

 

Monsieur,

le long temps que nous sommes ma femme et moy sans savoyr de voz nouvelles nous ennuye mervelleuzement et nous faict trouver le temps bien long. Ce sera quant il vous playra nous relever de ceste payne et deplaisir et vous en supplyons bien humblement. Et estant telles et aussy bonnes que nous les souhaictons jornellemens, elles seront les mieulx que très bienvenuees.

J'eusse esté fort ayse de vous trouver à Paris dernierement que je y fus. Cella eust grandement contanté mon esprit. Nous eussions devisé de beaucoup de chozes qui nous eussent donné du plaisir. A ce que je puis antandre, vous este à present habitant de Paris. Sy j'avois tout mon bien en une bource, je serois bientost vostre voisin pour vous y aymer, honnorer et servir.

Je desire fort de m'aprocher de vous et de toute la maisonnee5 comme aussy faict vostre sceur qui n'a poinct de santé. Elle c'estoit fort bien portee cest caresme6 mays depuis la sepmayne saincte7 elle a tousjours esté malade, de quoy je suis bien marry. Il ne tient à la bien traicter et secourir.

Nous parlons souvent de vous et désirons fort de vous veoyr. Ce sera quant il playra à Dieu8 et à vous me fayre cest honneur de vous visiter en se pays où vous serés le très bienvenu.Vous seriez en vostre maison là où ma femme et moy vous serviryons d'aucy bonne et grande affection que nous vous baisons humblement les mains, priant Nostre Seigneur vous donner,

 

Monsieur,

en santé, très bonne et longue vye.

 

De vostre maison9 ce 14me apvril 1586.

 

Vostre humble frere10 et affectionné

serviteur,

 

[signature] Boysmaystre

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Notes

 

1 Les registres de la Bibliothèque nationale de France ont jadis lu la signature comme « Boys-Mayslé », ce qui a été corrigé en 2021. Boysmaystre n'a pas laissé d'enfants de son mariage avec Marguerite de Castelnau.

 

2 Cette abbaye pour son frère François est à peu près tout ce que Michel de Castelnau put gagner en récompense de ses services d'ambassadeur en Angleterre pendant dix ans. La charge d'abbé passera ensuite, par résignation de François de Castelnau, à leur petit-neveu, Anne Michel de Castelnau, fils de Christophe de Castelnau et petit-fils de l'aîné des cinq frères, Pierre de Castelnau.

 

 

4 Les cinq frères Castelnau de la Mauvissière avaient la terre de la Mauvissière en commun et on les trouve appelés Castelnau, de la Mauvissière, de Mauvissière, ou Castelnau de la Mauvissière.

 

5 L'abbé de Cuissy vit peut-être à Paris chez son frère, Michel de Castelnau de Mauvissière, qui y vit après avoir passé dix ans à Londres comme ambassadeur de France.

 

6 Pâques en 1586 eut lieu le 3 avril, et le Carême 1586 a commencé le 16 février (mercredi des Cendres).

 

7 La dernière semaine du Carême, soit ici à partir du dimanche 27 mars 1586.

 

8 La lecture "Dieu" est la plus logique, bien que non pleinement satisfaisante à la lecture du manuscrit.

 

9 Boysmaystre exprime sans doute ici une politesse du type « ma maison est la vôtre », dans la continuité de ce qu'il dit dans la fin de sa lettre. Ou bien il écrit de l'une des propriétés indivises que se partagent les frères Castelnau en Berry, comme la Mauvissière. On peut par contre sans doute écarter l'hypothèse d'une maison que l'abbé de Cussy posséderait en propre, étant le cadet d'une famille nombreuse et sans grande fortune, et étant abbé.

 

10 Le destinataire étant un abbé, Boysmaystre ne peut être que l'époux d'une sœur de Cussy pour être son « frère », comme l'on disait à l'époque également pour un beau-frère.