Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Lettres patentes de Louis XIII demandant au Parlement de procéder « toutes choses cessantes » contre les sieurs de Bouteville et Des Chapelles, accusés de s'être battus en duel place Royale le 12 mai, et actuellement prisonniers à la Bastille. 30 mai 1627.

Archives nationales, Fonds Musée des documents français, Registre des ordonnances, lettres patentes, édits, déclarations et autres actes royaux enregistrés au Parlement de Paris sous le règne de Louis XIII, cote X/1a/8651

Manuscrit original numérisé sur :

https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/media/FRAN_IR_053944/c-9s4pdlvxa--14chxc7xkflxf/FRAN_0354_038423_L

Le duel à l'épée et au poignard (les Caprices, 25).

 

(Jacques Callot, estampe, 1617. BNF, dép. Estampes et photographie, Réserve Boîte ECU-ED-25 (7))

 



Le duel que Richelieu ne pardonna pas (1627)

 

Tout le monde n'a pas la chance insolente des Mousquetaires d'Alexandre Dumas. Voici deux gentilshommes qui, pour s'être battus en duel (du même côté, pas l'un contre l'autre), se retrouvent à la Bastille. Et bientôt pire...

Nous sommes en 1627 (deux ans après le fameux duel imaginaire du Pré-aux-Clercs de Dumas). François de Montmorency-Bouteville, d'une illustre famille, est un soldat aux beaux faits d'armes mais surtout un duelliste redoutable. Il a alors 26 ans mais déjà 21 combats à son actif (celui-ci est le 22e), dont certains mortels. Le précédent date d'à peine quelques mois : il y blesse son adversaire et s'enfuit à Bruxelles, car Richelieu a fait signer au roi en juin 1626 un ultime édit interdisant les duels, et punissant de mort les récidivistes.

Par bravade, pour contester l'édit et protester contre le refus de sa grâce par le roi, Montmorency-Bouteville revient en France pour relever le gant que lui a jeté Guy d'Harcourt, comte de Beuvron, dont il a tué en duel (encore) un sien parent en 1625. Et il décide d'un combat en plein jour, sur la très en vogue place Royale (l'actuelle place des Vosges), le jour de l'Ascension, 12 mai 1627.

François de Rosmadec, comte des Chapelles, cousin de Montmorency-Bouteville1, est son second dans le duel. Loin d'être un simple témoin, il participe en escrimant de son côté contre le second de l'adversaire, et la bataille implique ainsi jusqu'aux écuyers des deux camps (« tous pour un, un pour tous » ?). Mais seul des Chapelles tue l'homologue adverse, Henri de Clermont-d'Amboise, marquis de Bussy-d'Amboise. De leur côté, ni Montmorency-Bouteville ni Beuvron ne parviennent à prendre l'avantage l'un sur l'autre.

Il faut bientôt fuir. Le comte de Beuvron s'exile en Angleterre tandis que Montmorency-Bouteville et des Chapelles partent en direction de la Lorraine2. Ils sont rattrapés avant la frontière et emprisonnés. L'impitoyable Richelieu demande alors expressément, comme on le voit ici dans cette copie d'époque dans un registre, que leur procès soit une affaire rondement menée. Il est si bien obéi que, malgré les demandes de grâce qui affluent de la part de la noblesse, le procès a lieu dès le 21 juin : les deux duellistes sont condamnés à mort et, montrant un grand courage, décapités le lendemain-même en place de Grève à Paris.

Richelieu, décidé à faire appliquer les lois, s'était montré plus inflexible encore que le Cardinal d'Alexandre Dumas.

 

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Louis, par la grace de Dieu roi de France et de Navarre, à nos amez feaux les gens tenans nostre cour de Parlement à Paris, salut.

Ayant estés advertis que les sieurs de Bouteville et des Chapelles, contre lesquelz nostre dicte Cour a decretté prise de corps pour raison du duel faict le douziesme de ce moys en la place royalle de nostre ville de Paris, estoient arrestez en nostre ville de Vitry3, nous les avons faict amener en cette ville et constituer prisonniers en nostre chasteau de la Bastille, où ilz sont de present.

Et voulant que la justice soit faicte selon la rigueur de noz edictz, tant du duel commis par les dessusdictz et les autres qui ont assisté4, , que des autres duels et crimes par eux cy devant commis contre noz ordonnances, nous vous mandons et ordonnons procedder incontinant et sans delay à la perfection desdictz proces toutes choses cessantes. Lesdictz Bouteville et des Chapelles demeurans dans nostre chasteau de la Bastille durant l'instruction desdictz procès, de ce faire vous donnons pouvoir, commission et mandement special. Car tel est nostre plaisir.

Donné à Paris le dernier jour de may, l'an de grace mil six cens vingt sept, et de nostre reigne le dix huictiesme.

Signé Louis, et plus bas « par le roy » De Lomenie5, et scellé du grand sceau de cire jaune6.

Registrees ouy le procureur general du roy pour estre executtee selon leur forme et teneur à Paris en Parlement le premier juin mil six cens vingt sept. Signé Du Tillet7.

Collation faicte à l'original

[signature] Du Tillet

 

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 Notes

 

1 L'oncle de François de Montmorency-Bouteville, François II de Montmorency (...-1592) a une fille aînée, Françoise (...-1599), qui épouse en 1590 Sébastien de Rosmadec, marquis de Rosmadec (1567-1613). Leur fils, François de Rosmadec, comte des Chapelles (1598-1627) est donc le petit cousin de Montmorency-Bouteville.

 

2 La Lorraine ne fait alors pas partie du royaume de France.

 

3 Vitry-le-Brûlé, aujourd'hui Vitry-en-Perthois (Marne), à mi-chemin entre Paris et Nancy, et non Vitry-le-François, tout proche.

 

4 « Assisté » : au sens d'aider les deux principaux duellistes en combattant également, non au sens de simple spectateur.

 

5 Antoine de Loménie, seigneur de La Ville-aux-Clercs (1560-1638), secrétaire d'Etat, ou bien son fils, Henri-Auguste de Loménie (1595-1666), également secrétaire d'Etat conjointement avec son père.

 

6 La cire jaune était employée pour les actes royaux moins importants et d'un caractère plus simplement administratif (interprétation et mise en application des édits par exemple, comme on le voit ici) que ceux scellés à la cire verte.

 

7 Jean du Tillet (...-1646), baron de La Bussière, conseiller protonotaire et secrétaire du roi, greffier de la cour de Parlement à Paris.


Bibliographie

  • BRIOIST Pascal, DREVILLON Hervé et SERNA Pierre, Croiser le fer : violence et culture de l'épée dans la France moderne (XVIe – XVIIIe siècle), Seyssel : Champ Vallon, 2002.

  • CUENIN Micheline , Le duel sous l'Ancien Régime, Paris : Presses de la Renaissance, 1982.

 

Médaille pour l'interdiction des duels

(Bibliothèque municipale de Lyon, F17LEC005806)

 

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