Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

Office de capitaine de la ville de Dieppe pour l'amiral d'Annebault. 24 janvier [1545].

Bibliothèque nationale de France, cote Dupuy 273, pages 85v-86v.

 

Manuscrit original numérisé en ligne :

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b100367473/f90.item

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b100367473/f91.item

 

 

 

 

 

 

Portait de Claude d'Annebault vers 1545

 

(attribué à Jean Clouet, pourtant mort en... 1540 ! Dessin au crayon noir et sanguine, Chantilly, Musée Condé)



« Dieppe, […] ville de grande importance et cosequante pour la seureté de nostre pays de Normandye »

 

Le 24 janvier 1545, François Ier nomme son favori Claude d'Annebault capitaine de la ville de Dieppe. Celui-ci cumule déjà de nombreuses charges fort rémunératrices, dont celle d'amiral de France, mais Dieppe est sous François Ier le port le plus important du royaume1 et la charge a dû être très convoitée depuis la mort du précédent bénéficiaire, Philippe Chabot, en 1543.

Ce texte est une copie issue d'un registre composé par les bureaux d'un secrétaire d'Etat de Henri II, fils et successeur de François Ier. Ce registre avait semble-t-il pour vocation de regrouper des exemples de documents officiels pour faciliter la rédaction d'autres documents du même type. Ils sont en effet plus ou moins classés et recopiés les uns à la suite des autres dans le registre, mais pas toujours avec ordre. Ainsi le registre contient-il un autre document, émanant cette fois de Henri II, qui confirme à d'Annebault sa charge de capitaine de Dieppe octroyée par François Ier, mais ce document est placé AVANT celui que nous transcrivons, alors qu'il a été fait quelques années plus tard (sans doute peu après l'avènement de Henri II). Les deux textes sont séparés l'un de l'autre par un troisième, qui n'a rien à voir avec eux.

S'agissant de copies du temps, le scribe n'a pas pris la peine de recopier intégralement certaines formules, d'où par exemple un « etc. » en début de texte. Les dates des documents ne sont pas toujours données (ainsi pour la reconduction d'Annebault comme capitaine de Dieppe par Henri II évoquée ci-dessus) et elles sont à lire avec prudence quand elles le sont (voir notes en fin de transcription).

Ce n'est pas toujours la faute du scribe s'il faut faire attention aux dates. Ainsi le document porte la date de 1544 selon l'usage du temps : l'année ne commence pas au 1er janvier à cette époque mais à des dates variables selon les régions et le plus souvent à Pâques, dont le jour est lui-même variable selon les phases de la lune. Il faut attendre l'édit de Roussillon de Charles IX en 1564 pour qu'il devienne obligatoire de commencer l'année au 1er janvier (et cela ne fut d'ailleurs pas appliqué tout de suite). Nous sommes donc ici encore en 1544 pour les contemporains et déjà en 1545 selon notre façon de lire le calendrier. Nous donnons quelques autres détails à ce sujet dans les notes en fin de document.

 

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Office de cappitaine de la ville de Dieppe pour Monsieur l'admiral d'Ennebault

 

Françoys, etc., à tous ceulx qui ces presentes lettres verront, salut ! Comme depuis le trespas de feu nostre cousin le sr. [de] Brion2, en son vivant admiral de France et cappitaine de la ville de Dieppe, n'ayt esté encorres par nous pourveu aud. office de cappitaine, ce qu'il est besoing faire pour estre lad. ville de grande importance et cosequante3 pour la seureté de nostre pays de Normandye, de quelque grant notable et experimenté personnaige, et duquel la vertu et fidelité nous soit congneue par ses continuelz, vertueulx et très recommandables services, sçavoir faisons que nous, pour l'entiere et parfaicte congnoissance que nous avons de sa personne, de nostre très cher et très amé cousin Claude, sr. d'Annebault, chevalier de nostre ordre, mareschal et admiral de France, et de ses sens4, vertuz, integrité, loyaulté, longue experience au faict de la guerre et bonne dilligence, à icelluy et pour ses causes et autres à ce nous mouvans5 avons donné et octroyé, donnons et octroyons par ces presentes l'office de cappitaine de lad. ville de Dieppe, vacquant à present par le trespas de feu nostred. cousin le sr. de Brion, dernier paisible possesseur d'icelluy, pour le dict office avoir, tenir et doresnavant excercer par nostred. cousin le sr. d'Annebault aux honneurs, auctoritez, prerogatives, preheminences, franchises, libertez, gaiges, droictz, prouffictz, revenuz et esmollumens acoustumez et quy y apartiennent.

Sy donnons en mandement à nostre amé et feal conseiller et president en nostre court de parlement de Paris Me François Olivier6, garde des seaulx de nostre chancellerye, que prins et receu de nostred. cousin le sr. d'Annebault le serment en tel cas requis et accoustumé icelluy mecte et institue ou face mectre et instituer de par nous en possession et saisine dud. office et d'icelluy ensemble des honneurs, auctoritez, prerogatives, preheminences, franchises, libertez, gaiges, droictz, prouffictz, revenuz, et emollumens dessusd., le face, seuffre et laisse joir et user plainement et paisiblement et à luy obeyr et entendre de tous ceulx et ainsy qu'il apartiendra ès chose touchans et concernans led. office et oste et deboutte d'icelluy tout autre illicite detenteur non ayant sur ce noz lettres de don precedans en dacte cesd. presentes, par lesquelles mandons en oultre à noz amez et feaulx les tresoriers de France que par celluy de noz recepveurs qui les gaiges et droictz aud. office appartenans a accoustumé de paier iceulx, facent paier, bailler et delivrer à nostred. cousin le sr. d'Annebault doresnavant par chacun an aux termes et en la maniere accoustumez, lesquelz en rapportant cesd. presentes ou vidimus7 d'icelluy faict soubz seel royal pour une fois. Et quictance de nostred. cousin sur ce suffisante, nous voullons estrez passez et allouez ès comptes et rabattuz de la recepte de celluy desd. recepveurs quy paye les aura par noz amez et feaulx les gens de noz comptes, ausquelz nous mandons ainsy le faire sans difficulté car tel est nostre plaisir.

En tesmoing de ce, nous avons faict mectre nostre seel à cesd. presentes. Donné à Fontainebleau le ving quatreme jour de janvier l'an de grace mil cinq cens quarante quatre et de nostre regne le dixme8.

Signé par le roy [et] de l'Aubespine9.

 

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Notes

 

1 Voir notre présentation du document délivré à Jean Ango en 1538 à la page https://manuscrit-esperluette.jimdofree.com/ango-venise-1538/.

 

2 Philippe Chabot (1492 ?-1543), seigneur de Brion, amiral de France de 1525 à 1543. Par son mariage avec Jeanne de Longwy, fille de Jeanne d'Angoulême, il devient le neveu par alliance de François Ier, dont il est le favori. Il connaît cependant une sévère disgrâce, un procès ruineux et même un emprisonnement de deux ans pour corruption et malversations à la fin de sa vie.

 

3 On a ici une acception de « conséquent » équivalent à « important ». Cet emploi du mot, extrêmement répandu de nos jours, est un parfait barbarisme, dénoncé comme tel par Littré et l'Académie française (https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9C3685 ou https://www.dictionnaire-academie.fr/article/DNP0046), mais on voit ici que nos contemporains fautifs ont eu des prédécesseurs, à une époque où la langue n'était pas bien fixée.

 

4 « Sens » : ici, intelligence, savoir-faire, etc.

 

5 « A ce nous mouvans » : équivalent de « nous fondant sur celà », avec une idée de cause, de motivation de la décision. Formule assez usuelle dans certains documents royaux octroyant une charge.

 

6 François Olivier (1487-1560), garde des sceaux de 1545 à 1551, puis de 1559 à 1560. Durant la période 1551-1559, il est démis de sa charge en raison de l'inimitié de Diane de Poitiers, mais conserve les honneurs et les titres de garde des sceaux et chancellier. Il est président au Parlement à partir de 1543.

 

7 « Vidimus » : copie certifiée.

 

8 François Ier règne depuis 1515, soit 29 ans en 1544 et 30 en 1545. La date de 1544 est sans doute conforme au document original, puisque le document donne un successeur à Dieppe à l'amiral Philippe Chabot, mort en 1543. Cependant, François Olivier est mentionné comme garde des sceaux alors qu'il ne l'est qu'en 1545 : cela confirme que le document est en fait de janvier 1545, mais suit l'usage de faire commencer l'année à Pâques. La seule explication à la mention de « dixme » année du règne semble être une erreur du copiste, qui aurait dû lire sans doute « xxxme », soit « trentième ». Mais la raison d'être du registre, à savoir être un recueil de documents-type, fait passer ces détails de datation au second plan pour le copiste.

 

9 Claude II de l'Aubespine (1510-1567), secrétaire d'Etat. En 1545 (35 ans), il a déjà exercé plusieurs charges et missions et n'est plus simple notaire et secrétaire du roi mais secrétaire des finances (14 décembre 1543).

 


Bibliographie

NAWROCKI François, L’amiral d’Annebault, conseiller favori de François Ier. Paris : Classiques Garnier, 2015.

 

 

Un amiral de France en dieu Neptune tenant la bannière royale. Illustration (détail) de la page de titre de la Cosmographie universelle de Guillaume Le Testu, 1555 (Vincennes, Service historique de la Défense, cote D.1.Z-14)

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