Transcription de texte ancien et notes par Manuscrit & Esperluette

21 janvier 2024

Lettre d'Anne Bochetel, dame de La Mothe, à Michel de Castelnau de la Mauvissière, 1er janvier 1586.

Bibliothèque nationale, Cinq cents de Colbert, cote 472 - III, pages 193-196.

Manuscrit original numérisé sur :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10033936z/f103.item

 

 

 

Femme âgée lisant, ou La Prophétesse Anne, dit aussi La Mère de Rembrandt, c. 1640

 

(Gérard Dou, 1613-1675 ; huile sur bois ; Musée du Louvre)

 



Nouvelle année et peur de reîtres

 

Voici quelques nouvelles d'une veuve à son neveu par alliance. L'auteur, Anne Bochetel, est la tante de la femme du destinataire, Michel de Castelnau de Mauvissière1. Elle est la cadette d'une fratrie de dix enfants, et l'on voit dans sa lettre que, bien qu'elle vive retirée, elle a plus d'un appui à la Cour.

En cette deuxième année de la huitième guerre de Religion, le péril de l'intervention d'acteurs extérieurs monte, dont celui des fameux reîtres, mercenaires allemands dévastant tout sur leur passage, mais le ton de la lettre reste léger et teinté d'humour. Par exemple lorsqu'elle avoue n'avoir que peu de service à offrir à ce neveu qui est à la Cour et qui a déjà une longue carrière diplomatique derrière lui. De fait, le neveu en question, avec ses 65 ans ou environ, n'est sans doute pas beaucoup plus jeune que l'auteur de la lettre.

 

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Monsieur,

 

vous este tropt honneste de vous estre souveneu de moy. Se sont maintenant offre de charité que de visiter par lettres les affligés, du moings seux qui coure fortune2 comme nous fessons.

Toutefois jeusques icy je n'ay nulle ocassion de me plaintre, ayant esté fort assistee de toutes sorttes d'amys. Pour se que j'ay eu bessoing de la cour, monsieur de Villeroy et ma niepce3 m'ont secourut de tout se que i'ay demandé pour le payer. Je suis fort assistee des plus grand, de fason qu'en se misérable temps je me puis dire des myeux [biffé : « traitee » ] car je n'ay encore rien veu qui me peust facher.

Nous ne craignons que les reistre4, dont l'on nous fait peurt. Car de ses gens là il n'en fault esperer nulle courthoisie. Dieu nous enverra se qu'Il say nous estre nesaicere.

Vous mersiant humblement de vos honnestes offres qui ne sonst pas de refus, car en ce temps icy tout nous fait de besoings, singullierement de ceux qui ont de l'affection et du pouvoir, comme je m'assure que ses deux point ne vous manque.

Je ne vous ennuiré de plus long discours, ayant bien emplement escript à ma niepce vostre femme.

Monsieur mon nepveu, je vous offrirois voulluntiers mon servisse, car vous m'y obligez, mais je l'estime si peult que je n'osse5 [sic] de peur de vous faire rire.

Vous vous contanterez s'il vous plaist de la bonne voullunté que j'ay de vous en faire et me tiendrez pour vostre bonne tante qui vous baisse les mains humblement et vous seuplie la tenir en vostre bonne grace où elle dessire demourer toute sa vie.

 

Je prie Dieu vous donner, Monsieur, très heureuse et longue vie.

 

De vostre Sauvage6, se premier de l'an 1586.

 

Vostre bien humble tante et serviable amye,

 

[signature :] A. Bochetel

 

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Notes

 

1 Anne Bochetel est la sœur de Jacques Bochetel, père de Marie Bochetel, qui est l'épouse de Michel de Castelnau de la Mauvissière. On ne sait guère de chose d'elle, sinon qu'elle est mariée en 1557 à Esmet Riglet, notaire et secrétaire du roi et de ses finances, seigneur de Montgueux. Elle a donc au minimum 45 ans en 1586, mais sans doute bien plus.

 

2 « Coure fortune » : pour « courir fortune », prendre des risques, avoir une vie aventureuse.

 

3 Nicolas de Villeroy a épousé Madeleine de L'Aubépine, fille de Jeanne Bochetel (vrai prénom « Marie », mais appelée par tous « Jeanne ») qui est l'une des sœurs aînées d'Anne Bochetel. Madeleine de L'Aubépine est donc la nièce de l'auteur de la lettre et Villeroy son neveu par alliance, comme l'est Michel de Castelnau.

 

4 La huitième guerre de religion, commencée en 1585, a poussé Henri de Navarre à demander du secours aux princes protestants d'Allemagne, qui préparent une armée de reîtres (de l'allemand « Reister », cavalier) qui doivent traverser toute la France pour le rejoindre, et l'on ne s'attend pas à ce qu'ils soient particulièrement tendres avec les populations sur leur passage.

 

5 Pour « [j'y] renonce » ou « je n'ose » ?

 

6 La seigneurie de Sauvage, sur le territoire de Beaumont-la-Ferrière (Nièvre) aujourd'hui, relevait de personnages apparentés à la famille Bochetel.


Bibliographie

CASTELNAU DE LA MAUVISSIERE, Michel de, Mémoires de Michel de Castelnau, éd. Le Laboureur, 1731, tome III.

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